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vendredi 19 novembre 2010

A propos d'un arrêt de la Cour de cassation du 23/6/2010, sur un internement d'office arbitraire.

Santé publique
 
Dans un arrêt du 23 juin 2010, la Cour de cassation se prononce sur une demande en
dommages-intérêts, à l'encontre de l'agent judiciaire du Trésor et du centre hospitalier,
introduite par une personne hospitalisée d'office ainsi que par ses parents, suite à la décision
d'irrégularité des décisions administratives de placement.
En l'espèce, M. X. avait été hospitalisé d'office dans un centre hospitalier (unité pour malades
difficiles) du 11 avril 2000 au 2 février 2001 en vertu de trois arrêtés préfectoraux. Ces
décisions ayant été annulées par la juridiction administrative, il a, par assignation, introduit
une action en dommages-intérêts à l'encontre de l'agent judiciaire du Trésor et du centre
hospitalier. Par le même acte, ses parents ont présenté une demande en réparation du
préjudice subi du fait de l'hospitalisation de leur fils.

Premièrement, pour se dire incompétente pour statuer sur la demande en réparation de M. X.
et de ses parents à l'encontre du centre hospitalier, l'arrêt contesté (CA de Paris, 3 févr.
2009) retient qu'au regard des certificats médicaux établis en avril 2002, aucune voie de fait
ne permet de justifier la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire. La Cour de
cassation, au visa de la loi des 16-24 août 1790, ensemble les articles L. 3213-1 à L. 3213-
10 du Code de la santé publique, estime qu'en statuant ainsi, « alors que les tribunaux
judiciaires sont seuls compétents pour apprécier les conséquences dommageables résultant
de l'irrégularité des décisions administratives de placement ou de maintien sous le régime de
l'hospitalisation d'office, la cour d'appel a violé les textes susvisés ».

Deuxièmement, pour débouter les parents de leur demande en réparation du préjudice subi
du fait de l'hospitalisation de leur fils présentée contre l'agent judiciaire du Trésor, l'arrêt
d'appel retient qu'ils ne justifient pas d'un préjudice direct causé par l'illégalité des arrêtés
préfectoraux de placement, dont l'annulation, pour des motifs formels ne peut être
génératrice d'un préjudice direct causé à des tiers à ces actes. Au visa de l'article 1382 du
Code civil, la Cour de cassation décide au contraire que le placement irrégulier de M. X. en
milieu psychiatrique « cause à ses parents un préjudice direct dont ils sont bien fondés à
demander réparation ».

Troisièmement, pour limiter à la somme de 10 000
à M. X. en réparation de son préjudice, l'arrêt d'appel retient que nonobstant les irrégularités
formelles des arrêtés ordonnant son placement d'office, celui-ci était justifié par son état
pathologique préalable à l'irrégularité commise. La Haute juridiction décide qu'en vertu des
articles 5-1 et 5-5 de la Convention EDH et l'article 1382 du Code civil, M. X « pouvait
prétendre à l'indemnisation de l'entier préjudice né de l'atteinte portée à sa liberté par son
hospitalisation d'office irrégulièrement ordonnée ».
La Cour casse et annule l'arrêt dans toutes ses dispositions.
le montant des dommages-intérêts dus
Source
Cass. 1re civ., 23 juin 2010, n° 09-66.026, F P+B+I
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Demande d'indemnisation suite à l'annulation de décisions d'hospitalisation d'office.

30/06/2010
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Cet arrêt lui même:

Cour de cassation

chambre civile 1

Audience publique du 23 juin 2010

N° de pourvoi: 09-66026

Publié au bulletin

Cassation partielle

M. Charruault, président

Mme Bobin-Bertrand, conseiller apporteur

M. Sarcelet, avocat général

Me Le Prado, Me Ricard, SCP Ancel et Couturier-Heller, avocat(s)



REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :  


Attendu que M. X... a été hospitalisé d’office au centre hospitalier de Montfavet (unité pour malades difficiles) du 11 avril 2000 au 2 février 2001 par arrêtés préfectoraux des 11 avril, 10 mai et 9 août 2000 ; que ces décisions ayant été annulées par la juridiction administrative, il a, par assignation du 26 mars 2003, introduit une action en paiement de dommages-intérêts à l’encontre de l’agent judiciaire du Trésor et du centre hospitalier de Montfavet ; que par le même acte, M et Mme X..., ont présenté une demande en réparation du préjudice subi du fait de l’hospitalisation de leur fils ;


Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche :


Vu la loi des 16-24 août 1790, ensemble les articles L. 3213-1 à L. 3213-10 du code de la santé publique ;


Attendu que pour se dire incompétente pour statuer sur la demande en réparation de M. X... et de ses parents à l’encontre du centre hospitalier de Montfavet, l’arrêt retient qu’au regard des certificats médicaux établis en avril 2002, aucune voie de fait ne permet de justifier la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire ;


Qu’en statuant ainsi, alors que les tribunaux judiciaires sont seuls compétents pour apprécier les conséquences dommageables résultant de l’irrégularité des décisions administratives de placement ou de maintien sous le régime de l’hospitalisation d’office, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;


Et sur le deuxième moyen :


Vu l’article 1382 du code civil ;


Attendu que pour débouter M et Mme X... de leur demande en réparation du préjudice subi du fait de l’hospitalisation de leur fils présentée contre l’agent judiciaire du Trésor, l’arrêt retient qu’ils ne justifient pas d’un préjudice direct causé par l’illégalité des arrêtés préfectoraux de placement, dont l’annulation, pour des motifs formels ne peut être génératrice d’un préjudice direct causé à des tiers à ces actes ;


Qu’en statuant ainsi, alors que le placement irrégulier de M. X... en milieu psychiatrique cause à ses parents un préjudice direct dont ils sont bien fondés à demander réparation, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;


Et sur le troisième moyen :


Vu les articles 5-1 et 5-5 de la convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ensemble l’article 1382 du code civil ;


Attendu que pour limiter à la somme de 10 000 euros le montant des dommages-intérêts dus à M. X... en réparation de son préjudice, l’arrêt retient que nonobstant les irrégularités formelles des arrêtés ordonnant son placement d’office, celui-ci était justifié par son état pathologique préalable à l’irrégularité commise ;


Qu’en statuant ainsi, alors que M. X... pouvait prétendre à l’indemnisation de l’entier préjudice né de l’atteinte portée à sa liberté par son hospitalisation d’office irrégulièrement ordonnée, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;


PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur la première branche du premier moyen :


CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 3 février 2009, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;


Condamne l’agent judiciaire du Trésor et le Centre hospitalier de Montfavet aux dépens ;


Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;


Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois juin deux mille dix.


MOYENS ANNEXES au présent arrêt


Moyens produits par Me Ricard, avocat aux conseils pour M. Lionel X..., de M. Bernard X... et de Mme Z... ;



PREMIER MOYEN DE CASSATION


Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir confirmé le jugement sur l’incompétence retenue pour connaître de l’action intentée par Monsieur Lionel X... et Monsieur et madame X... contre le Centre Hospitalier de Montfavet ;


AUX MOTIFS PROPRES QUE « si les appelants excipent d’une faute commise à leur préjudice par le Centre Hospitalier de Montfavet en ce qu’il aurait fautivement admis M. L. X..., ne les auraient pas informés des recours dont ils pouvaient disposer contre cette admission ou encore en l’ayant maintenu en placement à partir d’actes médicaux erronés transgressant, par-là, les dispositions de l’article 5-2 de la CEDH, force reste de constater que seule une irrégularité du placement sur une période restée limitée, entre le 11 avril 2000 et le 10 août 2000, a été retenue et ce alors que les décisions ultérieurement prises à cet effet n’ont jamais été attaquées ;


Considérant, en outre et surtout, que devant les constatations alors opérées résultant, notamment, des certificats médicaux établis les 12 avril 2002, (lire 2000) certificats évoquant ou faisant état d’une” dangerosité potentielle”, (21 avril 2002 lire 2000) d’’une humeur hypersthénique, des traits de personnalité paranoïaques évidents et d’une absence totale de prise de conscience”, ceux ultérieurs évoquant, encore, “une personnalité pathologique avec hypertrophie du moi, agressivité quérulence, processivité et rigidité du mode de pensée, juridisme et formalisme” , aucune voie de fait permettant de justifier la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire n’est en l’espèce établie et qu’il convient donc de confirmer le jugement déféré en ce qu’il s’est déclaré incompétent et renvoyé les parties à mieux se pourvoir sur les demandes présentées par les appelants à l’encontre du Centre Hospitalier de Montfavet qui d’ailleurs n’a été l’auteur d’aucune des décisions irrégulières».


ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE «s’agissant des fautes alléguées à l’encontre des médecins qui l’ont soigné durant son séjour au Centre Hospitalier de Montafvet, dont la nécessité a été reconnue, elles mettent en cause le fonctionnement d’un service public de santé ; qu’en l’absence de voie de fait Me Pierre RICARD - Avocat aux Conseils - Pourvoi n° D0966026 Page 6/17 caractérisée, seul le juge administratif est compétent pour statuer sur le demande de réparation».


ALORS QUE il ressortait des écritures de Monsieur X... et des pièces versées aux débats, que par jugement rendu le 16 janvier 2001, le Tribunal Administratif de Marseille a annulé les deux arrêtés du 11 avril 2000 et du 10 mai suivant pour défaut de motivation, et que par jugement du 13 novembre 2006 le Tribunal Administratif de Marseille a annulé l’arrêté du 9 août 2000 portant reconduction de l’hospitalisation d’office pour une durée de 6 mois, de sorte que toutes les décisions de placement ont été annulées ; qu’en retenant que seule une irrégularité du placement sur une période restée limitée, entre le 11 avril 2000 et le 10 août 2000, a été retenue et ce alors que les décisions ultérieurement prises à cet effet n’ont jamais été attaquées, la Cour d’appel a méconnu les termes du litige et violé les articles 4 et 7 du Code de procédure civile ;


ALORS QUE les tribunaux judiciaires sont seuls compétents d’une part pour apprécier la nécessité et le bien-fondé de la mesure d’internement ainsi que pour réparer éventuellement les dommages susceptibles de résulter de ce point de vue d’un internement arbitraire et d’autre part pour statuer sur l’ensemble des conséquences dommageables découlant de l’irrégularité de la décision administrative de placement annulée par le juge administratif ; qu’en se déclarant incompétent pour connaître de l’action indemnitaire des consorts X... à l’encontre du Centre Hospitalier de Montfavet fondée d’une part sur le placement arbitraire de Monsieur Lionel X... et son transfert en unité pour malades difficiles et d’autre part sur l’annulation des arrêtés d’hospitalisation au motif erroné qu’aucune voie de fait permettant de justifier la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire n’était en l’espèce établie, la Cour d’appel a violé la loi des 16-24 août 1790, ensemble les articles L. 3213-1 à L. 3213-10 du Code de la santé publique et l’article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;



DEUXIEME MOYEN DE CASSATION


Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir confirmé le jugement sur le rejet des demandes présentées par Monsieur et Madame X... contre l’Agent judiciaire du Trésor ;


AUX MOTIFS QUE «les parents de M. L. X... ne justifient pas d’un préjudice direct causé par l’illégalité des arrêtés préfectoraux de placement dont l’annulation, pour des motifs formels, ne peut être génératrice d’un préjudice direct causé à des tiers à ces actes».


ALORS QUE pour être réparable, il suffit que le préjudice invoqué soit personnel, direct et certain ; que subissent un préjudice moral direct les parents dont le fils est victime d’un internement psychiatrique jugé irrégulier ; qu’en rejetant la demande de Monsieur et Madame X... en réparation du préjudice moral qu’ils ont subi du fait de l’internement irrégulier de leur fils au motif erroné que l’annulation des arrêtés de placement, pour des motifs formels, ne peut être génératrice d’un préjudice direct causé à des tiers à ces actes, la Cour d’appel a violé l’article 1382 du Code civil.




TROISIEME MOYEN DE CASSATION


Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir limité le montant des dommages et intérêts compensateurs du dommage causé à Monsieur Lionel X... à la somme de 10.000 euros ;


AUX MOTIFS QUE « l’état pathologique de l’appelant n’est plus utilement démenti et qu’il convient, en conséquence, à partir de l’existence de cet état, état préalable à la faute commise, des difficultés inéluctables auxquelles M. L. X... était exposé non par l’effet exclusif de la faute commise mais par celui de son état de santé, tenant compte aussi de ce qu’il était installé depuis 1999 seulement et avait personnellement perçu, sur les trois mois antérieurs à son placement, une somme de 130.960 F., tenant compte encore de ce que sa situation individuelle imprégnée d’une forte violence pathologique était telle qu’elle l’avait conduit à l’acquisition d’une arme, un fusil de chasse de calibre 12 et de munitions stockées chez lui, d’éléments suffisants pour chiffrer à 10.000 € le montant du préjudice subi restant en lien de causalité avec la faute préjudiciable commise ».


ALORS QUE Monsieur Lionel X... faisait état de plusieurs chefs de préjudice, tirés notamment des conditions de son hospitalisation, du préjudice moral résultant de la durée de celle-ci, de la perte de revenus et d’exploitation du cabinet médical, de la perte de sa clientèle consécutive à la durée de l’hospitalisation et des frais d’hospitalisation qui lui ont été facturés; que la cour d’appel, en s’abstenant de dire la raison pour laquelle elle excluait l’indemnisation de ces préjudices, n’a pas donné de motifs à sa décision en violation des articles 455 et 458 du nouveau Code de procédure civile ;


ALORS QUE en vertu du principe de la réparation intégrale, la victime doit être replacée dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable ne s’était pas produit ; qu’après avoir relevé l’irrégularité du placement de Monsieur Lionel X... en hôpital psychiatrique, la cour d’appel a limité l’indemnisation de son préjudice à une fraction de la perte de revenus dont il faisait état ; qu’en refusant d’indemniser, au motif inopérant d’un état pathologique préexistant à son internement, l’entier préjudice subi du fait de l’internement irrégulier, la Cour d’appel a violé l’ article 1382 du Code civil.


Publication :


Décision attaquée : Cour d’appel de Paris du 3 février 2009


Titrages et résumés : CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME - Article 5 - Droit à la liberté et à la sûreté - Privation - Cas - Détention - Détention d’un aliéné - Régularité - Défaut - Effet

Viole les articles 5 §1 et 5 § 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ensemble l’article 1382 du code civil, la cour d’appel qui, pour limiter le montant des dommages-intérêts dus à une personne hospitalisée d’office en exécution d’arrêtés préfectoraux, retient que nonobstant les irrégularités formelles de ces décisions, son placement était justifié par son état pathologique préalable, alors que l’intéressé pouvait prétendre à l’indemnisation de l’entier préjudice né de l’atteinte portée à sa liberté par son hospitalisation d’office irrégulièrement ordonnée


RESPONSABILITE DELICTUELLE OU QUASI DELICTUELLE - Dommage - Réparation - Etendue - Applications diverses - Hospitalisation d’office irrégulièrement ordonnée

HOPITAL - Malades mentaux - Hospitalisation d’office - Décision administrative - Régularité - Défaut - Sanction



Précédents jurisprudentiels : Sur le droit à l’indemnisation de l’entier préjudice résultant d’une hospitalisation d’office irrégulièrement ordonnée, dans le même sens que :1re Civ., 31 mars 2010, pourvoi n° 09-11.803, Bull. 2010, I, n° 77 (rejet)


Textes appliqués :
·          article 5 § 1 et 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; article 1382 du code civil
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Mercredi 30 juin 2010. Dépêche Jurisclasseur.

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