Pages

mercredi 24 novembre 2010

Rapport Demay, 1982, prônant une réforme de la loi du 30 juin 1838. Un rapport toujours actuel ?

Pour ceux qui voudraient disposer du rapport Demay, il est consultable (et "saisissable" par copier coller) sur le site de Serpsy, avec le lien suivant : http://www.serpsy.org/rapport/DEMAY.html
         ______________________________________________________________
Une voie française pour une psychiatrie différente

Document établi à la demande de M. Jack RALITE, Ministre de la Santé,
Coordinateurs : Docteurs M. et J. Demay

Juillet 1982
Préambule
Introduction
les principes d'une éthique
les principes d'une conception législative
les principes de l'organisation de la gestion
les principes concernant le personnel
les principes concernant les institutions
les principes de l'action de formation et d'incitation à l'ensemble de ces mutations

Préambule
La psychiatrie a un domaine propre la souffrance psychique. De ce fait elle se trouve également et sans cesse confrontée aux phénomènes d'ordre politique, économique ou social qui interfèrent dans la vie psychique. Si la psychiatrie peut en porter témoignage, il n'est ni dans sa vocation ni dans ses moyens de prétendre résoudre ces ordres de faits mais elle intervient ainsi par des pratiques d'une grande diversité, dans un champ qui n'appartient pas à ses seuls acteurs, dans un travail nécessairement partagé.
Fonder réellement une voie française pour la psychiatrie nécessite une action à mener simultanément dans trois domaines :
- pratique : pour se donner les moyens d'accomplir ces mutations dans leurs diversités sur le terrain même des équipes saignantes, quel que soit leur statut ;
- législatif : pour établir un texte, fondé sur une conceptualisation contemporaine, contraignant de ce fait à des démarches inédites ;
- culturel : pour réaliser le changement des mentalités à l'endroit du fait psychiatrique.
Cette action, pour faire prévaloir les forces d'innovation, doit s'étayer fermement sur quelques notions essentielles que l'expérience actuelle de la psychiatrie impose déjà comme déterminantes.
1 - La dimension humaine doit être restituée à tous les lieux où s'engage et se développe une relation thérapeutique : petites unités d'accueil ou de soins, préservant des effets de non-vie et d'anonymat que produisent inéluctablement les lieux de concentration. Soit, incitation au développement de petites équipes travaillant en rapport constant avec le réseau complexe, et variable, de la communauté sociale.
2 - Mobilité, souplesse et dynamisme du fonctionnement et de l'organisation de chacune de ces unités ou équipes, diminuant ainsi les risques de rigidification, voire de pétrification d'un service qui se doit, plus que tout autre, de restituer au sujet sa capacité de changement et de vie. En somme, rendre possible l'existence de lieux et d'organisations où la fécondité innovatrice et l'invention soient reconnues comme un principe essentiel.
3 - La responsabilité doit, corrélativement, pour chacun des acteurs de la voie française, retrouver sa valeur de stimulation, bien au-delà de s on poids de culpabilité latente à l'endroit d'instances supérieures. Que chacun, soignant ou soigné, puisse disposer et jouir de sa responsabilité de sujet dans le plein exercice de ses contradictions, de l'écoute, du dialogue et des décisions qui s'en suivent. Soit, démocratie au sens originel du terme, et liberté dans et par le rapport à l'autre.
4 - Rapport à l'autre dont la nature et la structure constituent l'essentiel de la discipline psychiatrique. Au-delà du terme d'aliénation c'est la difficulté, pour ne pas dire l'insupportable du rapport à l'autre qu'elle met en évidence, non seulement comme fait pathologique, mais comme paradoxe constitutif de tout lien social. Découvrant ainsi les lois structurales de tout processus d'exclusion et de ségrégation, la psychiatrie demanderait pour tout sujet épris de liberté et S'interrogeant sur l'inégalité, à être reconnue comme discipline majeure.
Le présent document, se fondant sur l'expérience de ces quelques notions concernant en fait tout citoyen, se propose de dégager et d'affirmer les principes directeurs de l'action à mener : mission nationale assumée par l'État en concertation étroite avec les collectivités locales et la population. Il s'étaye d'une série de documents annexes détaillant les modalités de la mise en œuvre de ces directions, réunis par ailleurs.
Après un exposé liminaire, il traitera successivement ici :
1 des principes d'une éthique
2 des principes d'une conception législative
3 des principes de l'organisation et de la gestion
4 des principes concernant le personnel
5 des principes concernant les institutions
6 des principes de l'action de formation et d'incitation à l'ensemble de ces mutations.
Certaines notions nodales pourront apparaître dans plusieurs chapitres.
Ce document ne veut et ne peut être texte achevé imposant solution, mais bien base de travail pour une réflexion, une discussion, des innovations propres à constituer la voie française d'une psychiatrie différente dans la richesse de son histoire et de ses diversités.
Introduction
Esquisser Une voie française de la psychiatrie oblige tout à la fois :
- à prendre en compte un passé tissé d'archaïsmes et de contradictions solidement institués ;
- à élaborer alors les grandes lignes d'un projet de travail radicalement différent dans son abord théorique et ses dispositions pratiques, car il n'y aura pas de renouveau ou de progrès sans une rupture complète avec les situations et les façons d'agir passées ;
- à proposer, enfin et pour cela, une mutation complète des méthodes et des moyens, des cadres et références juridiques, administratifs et financiers existants.
Ces préalables au changement se révèlent considérables et complexes, mais tout autant possibles et indispensables. Oeuvre de longue haleine qu'il faut engager sans attendre et qui impliquera, dans la ligne générale d'une psychiatrie différente, les efforts et recherches des diverses formes de pratiques psychiatriques, toutes concernées à des titres divers ; mais aussi l'apport de tous les praticiens concourant à ce travail dans leurs richesses et leurs diversités, dans le respect de leur originalité, de leur spécificité et de leur liberté reconnues.
Cette oeuvre implique également la participation active et décisive des populations concernées et de leurs représentants, toujours associés de façon permanente et étroite à cette intense activité d'innovation.
Cette exigence d'un changement profond est un dû au patient mental trop souvent méconnu, négligé, rejeté et malmené. Elle se développe en prenant en compte le patient lui-même, mais elle doit tout autant prendre en compte le milieu où ont germé et se sont constituées difficultés et souffrances. Aidant le patient désigné, elle doit agir sur le contexte social capable d'aide tout autant qu'il pourrait s'abstenir ou s'éloigner. A l'enseigne d'une médecine d'initiés, volontiers ésotérique et lointaine, des potentiels soignants se sont perdus qu'il faut savoir retrouver et développer dans le milieu même de la vie quotidienne.
Il y a là une façon d'aborder et de comprendre l'atteinte mentale dans sa globalité, d'en rechercher, de même, sources et remèdes dans une démarche qui doit absolument déborder de la singularité de la personne.
Cet intérêt ponctuel fut souvent la règle, méconnaissant tout ce que peut apporter le monde social familier s'il est sollicité et se montre accueillant et coopérant ; si tout est fait aussi pour que la participation indispensable qui lui est demandée prenne le soin de ne pas laisser se constituer des situations de charges insupportables, débordant le seuil de tolérance acceptable.
C'est bien là où naissent et s'installent les troubles, parmi les proches qui en sont les témoins, que se trouve le seul lieu possible où l'on peut comprendre et résoudre, sans perdre de temps ni écarter acteurs et témoins, ces mêmes troubles.
Rien ne doit se perdre de ces voies nouvelles et, prenant ce chemin, la psychiatrie deviendra un terrain de découvertes aux richesses insoupçonnées.
Appuyée sur les capacités de, recherche des différents soignants en psychiatrie et des différents intervenants sociaux, assurée d'une compréhension et d'une action convergente de l'environnement humain, cette exigence de renouveau pourra et devra, définitivement, abolir la vieille habitude de mettre à l'écart, et si possible d'oublier, tout ce qui inquiète, dérange ou encombre, abolir aussi et ainsi la loi de 1838 et son asile qui avaient mis en forme et en actes cette pratique de l'exclusion méthodique et systématique.
Cette voie nouvelle constitue et légitime la pratiquepsychiatrique de secteur (on dit aussi parfois psychiatrie communautaire pour souligner sa caractéristique essentielle de s'exercer dans la communauté.) Elle exprime son avancée décisive, assurant son progrès dans une démarche qui la détache et l'éloigne de l'hôpital, hôpital qui procédait d'une logique radicalement opposée et négative en consacrant la rupture et l'isolement du contexte de vie.
Cette révolution dans la façon de situer et de comprendre ce qu'il est convenu d'appeler pathologie mentale bouleverse aussi les modes et les lieux de formation et de recherche ; ils ne peuvent plus être compris, comme autrefois, au temps des entités, des statistiques, des cours magistraux et de la folie épinglée sur le bouchon du lit hospitalier.
La formation et l'enseignement retireront le plus grand profit de cette remise à neuf des lieux de pratique psychiatrique qui sont les meilleurs ateliers pour une compréhension et une acquisition des connaissances psychiatriques modernes. L'étude du fonctionnement mental dans son milieu naturel, la prise de responsabilité à la mesure du savoir acquis, le contact avec des équipes pluridisciplinaires, constituent autant d'apports formateurs sans équivalents.
Il serait souhaitable que des unités d'enseignement et de recherches individualisées, en psychiatrie, instaurent des systèmes collégiaux regroupant psychiatres universitaires, psychiatres hospitaliers, et psychiatres de pratique privée, ainsi que représentants des psychiatres en formation.
Par-delà la formation des spécialistes, il faudra assurer un enseignement théorique et pratique dans les premiers cycles, développer aussi l'enseignement post-universitaire des médecins praticiens dans les associations qu'ils ont créées ; beaucoup d'autres lieux d'intervention sont évidemment possibles. Les U.E.R. de psychiatrie devraient avoir pour rôle de promouvoir largement une recherche digne de ce nom.
Tout est à inventer, en France, pour instaurer une rupture dans la façon de considérer la folie, la maladie mentale, les diverses formes et expressions de la souffrance psychique. Tout est à inventer pour que l'accueil, le respect, l'espoir, portant témoignage de cette rupture, amènent un changement complet d'attention et d'intérêt, l'état d'esprit, d'attitude et de comportement. Tout est à inventer pour que cela change dans le langage quotidien et les actes de chacun.
Mais, concrètement, ces modifications demeurent sous condition de modifications parallèles, aussi nettes et déterminantes, du champ de la psychiatrie, des lieux où elle s'exerce, de ses façons de faire.
" Le cours des idées dépend du cours des choses ", disait un homme dont la figure aura dominé ce siècle.
Il serait vain de penser que les idées se métamorphoseront si les choses psychiatriques ne savent pas le faire d'abord, avec le devoir permanent de mettre tous ceux qui souffrent en situation de bénéficier de toutes les méthodes thérapeutiques nouvelles, et d'être constamment impliqués, de façon aussi dynamique et autant qu'ils le peuvent, dans la vie et le développement de la société moderne.
Cette restructuration de la psychiatrie conduit inévitablement à préciser son rôle et sa fonction.
Cela renvoie à son histoire, mais plus encore au caractère très profondément original et irréductible au modèle médical de son objet et du champ de sa pratique.
La psychiatrie fut aliénée quand elle fut enfermée dans l'asile, et cela n'est pas encore tout à fait du domaine du passé ; mais elle est plus aliénée encore, et plus subtilement, quand elle est fagotée dans l'habit d'emprunt anatomoclinique et hospitalocentrique du modèle médical.
Le sort contraire a longtemps faussé et réduit l'élan et le talent de sa triple fonction de soin, d'enseignement et de recherche. Mai 1968 fut une étape importante, qui alluma contre les tenants d'un passé dépassé un esprit nouveau qui constitue le préalable déterminant d'une psychiatrie différente.
La psychiatrie demeure une discipline médicale, mais elle ne peut le faire qu'au prix d'un respect rigoureux des particularités qui lui sont propres et conditionnent son existence même et ses progrès. Elle a sa façon de comprendre et d'assumer le trouble psychique, dans une démarche très distincte de la démarche médicale ou chirurgicale, et cela tout à la fois au plan du patient et du tissu social dans lequel il s'inscrit.
Beaucoup de souffrance, sur le plan psychique et selon des modalités diverses (névroses, psychopathies, psychoses selon les schémas traditionnels), relèvent sans hésitation de son domaine. Mais d'autres interventions sont souvent demandées à juste titre par d'autres services ou institutions.
Le psychiatre (et habituellement son équipe, quand il s'agit d'un psychiatre de service public notamment) est alors un intervenant parmi d'autres, donnant un avis ou proposant une contribution préventive ou curative, pour différents problèmes comme l'alcoolisme ou les toxicomanies, les difficultés de certaines étapes de l'existence (adolescence - vieillesse), ou de certaines situations (scolarité - emploi). Certains comportements difficiles ou perturbateurs donnent parfois lieu à de tels échanges.
Ces activités partagées ont largement démontré leur fécondité, et gagneront à être beaucoup plus développées encore. Elles doivent éviter le risque permanent de voir s'instaurer des conduites d'appropriation ou de rejet des sujets en question, d'exclusion ou de rejet de certains participants, tous excès dont les usagers sont en dernière analyse les seuls à pâtir. A l'enseigne d'une psychiatrisation abusive, on a parfois contesté la place du psychiatre dans telle ou telle rencontre. Le danger est bien moins grand de cet abus que celui d'erreurs commises faute d'un avis psychiatrique.
La tradition française a inscrit dans notre société et depuis fort longtemps l'existence de grands services publics, reconnus pour l'importance de leur rôle et la qualité de leur personnel ; ainsi en est-il de l'Éducation Nationale, des Services Publics de Santé, de la Justice, des divers services d'Aide et d'Action sociales.
Chacun a ses attributions et ses responsabilités, et le bon sens commande qu'ils organisent leurs coopérations complémentaires en fonction de leurs rôles respectifs. Cependant, le risque existe toujours qu'ils méconnaissent cette nécessaire répartition des tâches et que se développent, là encore, les conduites d'appropriation et de rejet, avec l'illusion autarcique de se suffire en tout. En fait, l'enfant n'appartient pas à l'Éducation Nationale, pas plus que le malade à l'hôpital.
Le travail en commun, sans confusion ni intolérance, apparaît sans aucun doute comme la seule façon de rendre aux usagers les services qui leur sont dus. L'oublier multiplierait les erreurs et les fautes.
Le phénomène d'intolérance, de malmenage et de rejet ne se limite pas au seul malade mental ; la notion de handicap, comme l'étape de la vieillesse souffrent d'une attitude tout à fait comparable.
Le concept de handicap, on l'a souvent répété, véhicule habituellement deux ordres d'erreur : un modèle médical soucieux de quantifier à partir d'un bilan qui dénombre les troubles et décide ainsi à partir d'un inventaire de ce qui est négatif ; la conviction aussi que ce constat en creux a un caractère fixe et définitif, et qu'il ne s'agit plus ensuite que d'en assurer la gestion immobile, à moindre embarras et à moindre frais, inscrite dans la fatalité d'un destin sans appel. La réponse dite sociale n'est souvent qu'une mesure d'ordre purement économique : consentir une allocation, placer dans une institution. Le statut d'exception s'accompagne d'une décision d'exclusion.
Avoir de quoi subsister représente sans aucun doute une nécessité, mais l'obtenir dans de telles conditions en fait la pire des choses.
On retrouve la même conduite archaïque de rejet à l'encontre de maints vieillards isolés et démunis, qui eux aussi angoissent un entourage qui ne peut les assumer. Là encore, un placement est toujours proposé. L'hôpital psychiatrique les reçoit, le prix de journée étant par ailleurs assuré. Mais les conséquences sont souvent désastreuses d'un déracinement brutal et de l'arrivée dans un lieu où repères et habitudes sont détruits.
Un effort considérable est à accomplir pour maintenir, beaucoup plus qu'on ne peut le faire actuellement, toutes ces victimes de l'exclusion dans leur milieu naturel et en réglant leur statut et leurs droits au plan du droit commun. Les potentiels d'accueil demeurent vivaces et devraient être repris, dans un monde par ailleurs malmené et souvent lui-même en difficulté.
La crise qui ébranle notre société, multiplie les situations d'échecs et de misère, mais elle ne favorise pas non plus les moyens d'accueil de ceux qui subsistent un peu mieux. Tout en créant l'inadaptation, elle réduit aussi considérablement les moyens d'y faire face sur place. Contradiction à prendre en compte, à aménager sans doute, mais en sachant bien qu'elle est fondamentalement insoluble sans une remise en cause complète d'un système social.
A l'aube de la société industrielle triomphante, lorsque le capitalisme en plein essor se déployait à l'enseigne du profit et des inégalités, Renaudin avait noté : " L'asile d'aliénés est un corollaire de la civilisation, car plus la société met en oeuvre tous ses éléments d'activité, plus y progresse l'aliénation et plus l'aliéné y fait office d'un corps étranger ; perturbateur s'il se mêle au mouvement, obstacle s'il est hostile ou inerte, et propagateur s'il reste libre ".
La société en question, un siècle plus tard, est confrontée à une aliénation sans précédent, qu'elle sécrète et organise toujours plus dans sa fuite en avant.
Comment aborder, comprendre, prévenir l'exclusion, c'est là tout le problème du contexte social, économique et politique et des limites qu'il a atteintes, des réformes fondamentales qu il devra bien accomplir pour accueillir et laisser vivre tous les hommes convenablement dans leur communauté.
Cette restructuration de la psychiatrie nécessite également le rappel de quelques notions essentielles, de quelques éléments importants pour son devenir.
Un bilan rapide doit être fait, rappelant les grandes lignes de l'évolution récente, quelques caractéristiques de la situation présente.
On a pu dire que la psychiatrie avait été affaire classée par la société française quand la loi de 1838, reprenant des dispositions antérieures, avait conçu l'asile, qui devait résumer la psychiatrie pendant plus d'un siècle. Demeurée longtemps hors du temps et du monde, anachronique dans son isolement institué par la loi, elle fut bousculée et réveillée au lendemain de la guerre, face aux malades morts de faim, et dans un rapprochement avec les camps de concentration, l'irrespect de l'homme que représentaient internement et vie asilaire. Après quelques années ensoleillées l'espoir retomba, jusqu'à la parution de textes (1960 - 1970/1972) qui semblaient amorcer un mouvement décisif. Ils rencontraient cependant rapidement leurs limites, et ne se traduisaient jamais globalement et totalement dans leurs intentions et dans la réalité.
L'acquis est cependant loin d'être négligeable : 400 immenses services centrés sur eux-mêmes et n'en sortant guère ont fait place à 1200 secteurs, référés à des ensembles démographiques précis où se créèrent, plus ou moins, consultations et soins en institutions à temps partiel.
La psychiatrie infanto-juvénile, qui avait su se débarrasser très souvent du boulet asilaire, a connu en bien des cas un essor remarquable, distançant dans ses avancées les secteurs dits d'adultes, gênée cependant par cette rupture et dépassée aussi par une importance beaucoup trop grande des populations qu'elle devait desservir.
Ainsi le progrès a été fort inégal, dans un ensemble contrasté d'ombres et de lumières où le meilleur côtoie souvent le pire. Dynamisme des équipes, intérêts des élus, coopération des autorités de tutelle, qualité d'ouverture et d'audace des administrations, étaient autant de préalables peu souvent réunis.
En fait, il n'y a pas eu de volonté politique cohérente, claire et novatrice pour impulser, au plan national et dans un mouvement d'ensemble, une politique en tous points différente de l'héritage reçu du passé.
Depuis quelques années, une réduction méthodique et importante de la formation des infirmiers avait été instituée. Fermant un certain nombre de centres, diminuant les activités des autres, cette politique, qui voulait se prémunir d'une pléthore éventuelle, creusait des vides que tentaient de remplir des faisant fonction, personnel sous-qualifié et sous-payé, dont la multiplication ne pouvait que dégrader un peu plus ce système.
La logique asilaire survit, à travers l'hôpital toujours désigné par la loi de 1838, comme organisation première et déterminante pour accueillir les malades mentaux ; le reste s'inscrit toujours plus ou moins dans son orbite et dans son ombre, dans sa dépendance et son optique. Interlocuteur reconnu des autorités de tutelle, appuyé sur une administration bien rodée, assuré de ses prix de journée qui lui permettent d'accueillir sans limites, il demeure l'élément dominant qui trop souvent fait la loi. Les activités hors les murs, qui mettent en cause son équilibre financier en traitant les malades ailleurs et autrement, sont en contradiction formelle avec son existence.
L'étude des coûts en psychiatrie démontre la part considérable engloutie par l'hôpital : 80 % des dépenses selon un document officiel récent. Dans le même temps, les activités dites de secteur n'atteignent pas 10 % des dépenses. Encore faut-il noter que cette valeur moyenne, fort minime, est pervertie par des inégalités considérables selon les divers départements, et les avances (remboursables en grande partie par l'État) que consentent les Conseils Généraux.
Aucun service public ne traite avec un tel arbitraire et une telle inégalité des citoyens égaux en droit.
Une étude serrée de la population hospitalisée doit être faite. Elle montrera des séjours correspondant effectivement à des soins véritables (souvent, mais pas toujours, assez brefs), mais il s'y trouvera aussi des hospitalisations prolongées, qui représentent des dépenses fabuleuses, mais dont la légitimité en regard d'un projet et d'une action effective de soin est pour le moins douteuse.
Point déclivé où se déverse ce dont on ne sait que faire, l'hôpital reçoit aussi bien des cas sociaux (qui représentent en fait des situations sociales), des vieillards isolés, des adolescents qui ont dépassé l'âge du centre où ils étaient, des vagabonds qui ont lassé les autres services, et tout le peuple de la misère et de la détresse dans un monde difficile et sans pitié.
Installés hors du monde, sans perspective, ils constituent une bonne part des 100.000 hospitalisés, victimes d'un mauvais sort bien plus que personnes nécessitant réellement une hospitalisation.
On parle souvent d'économie, et personne ne peut contester cette préoccupation, mais économiser c'est avant tout dépenser l'argent avec discernement.
Le phénomène asilaire dépense énormément et dépense fort mal. C'est là un des intérêts de sa disparition.
Mais à côté de ce gâchis financier scandaleux, se développe aussi un gâchis humain dramatique : l'enlisement dans l'asile entraîne un enclavement et une chronicisation difficilement réversibles ; le phénomène asilaire, bien plus que la maladie, sécrète la plaie ruineuse et inhumaine de la chronicité maintenue.
Pour des raisons qui tiennent à sa nature et à son histoire, la psychiatrie accuse, dans le domaine de la recherche, un retard fort important et fort préjudiciable. Réparer, cela devient de la plus grande urgence, si l'on veut convenablement élaborer et critiquer l'intense effort d'innovation qui devrait marquer les années prochaines.
Liée à la biologie et aux neurosciences, à des structures du système nerveux complexes et mal connues ; appelée à connaître aussi des façons d'être et des comportements se référant aux sciences de l'homme ; partie prenante de la médecine générale et de ses spécialités, la psychiatrie participe d'approches multidimensionnelles et d'études extrêmement diversifiées. La description clinique d'états, les observations pharmacologiques de valeurs variables par la suite, ont longuement occulté l'ampleur d'une recherche véritable.
Des organismes existent, au plan national, qui devraient être repensés dans une vue d'ensemble et un projet revivifié, utilisant les documents réunis dans les lieux de pratique, capables d'en tirer enseignement, d'impulser recherches et expériences, de coordonner et de faire connaître conclusions et suggestions.
La Commission des maladies mentales, reconstituée au lendemain de la guerre et qui avait retrouvé son dynamisme après 1968, a représenté un apport de très grande importance, mais dont les travaux étaient utilisés à la mesure de l'intérêt porté à la psychiatrie.
Reconstituée dans une forme plus représentative des divers courants de la psychiatrie, élargie surtout aux diverses catégories professionnelles travaillant dans ce domaine, comprenant aussi des représentants qualifiés d'autres grands services appelés à partager leur tâche avec la psychiatrie, elle pourrait redevenir le lieu d'élaborations remarquables qu'elle a su être dans le passé.
Cependant le travail fait sur le terrain, le potentiel de recherche et de réflexion qui s'y exerce, devraient être des matériaux essentiels dans un travail soucieux de conduire à la fois théorie et pratique. Des documents devraient être élaborés chaque année, des réunions d'équipes, des rencontres régionales et nationales pluridisciplinaires devraient en débattre, comparant et échangeant un savoir-faire bien négligé trop souvent. Des confrontations internationales auraient le plus grand intérêt.
Des dispositions précises devraient être prises pour favoriser ces échanges qui ne devraient pas être limités aux seuls médecins.
La psychiatrie actuelle demeure diverse, et pour longtemps sans doute. Entre l'exercice public et l'exercice privé exclusivement s'étend la frange des temps partagés entre une pratique de cabinet et un travail d'équipe dans des structures publiques, parapubliques ou privées. Nombre de jeunes psychiatres choisissent cette double activité, soucieux de concilier activité privée et intérêt d'un travail collégial avec lequel leurs années de formation les ont familiarisés ; ils ont conservé là des attaches et des affinités qui marquent durablement leurs choix professionnels.
C'est dire que le corps des psychiatres, par-delà le mode et le lieu de travail, conserve une cohérence et une solidarité plus notables qu'on pourrait le penser. Leurs références et leurs méthodes sont fréquemment voisines, et peut-être pourrait-on dire aussi que les dangers et les défauts qui les guettent en sont pas sans similitudes. Convergences et complicités sont certaines, et dans le cadre du Syndicat des Psychiatres Français tel que l'avaient voulu Ey, Brisset et d'autres, fonctionnait un parlement de la psychiatrie qui s'est constitué un front commun en face de difficultés menaçantes ou de projets qui les concernaient tous.
Il y a là deux champs dont on a dit qu'ils dépendaient l'un de l'autre, et que l'un serait difficile à cultiver si l'autre restait en friche. La notion demeure exacte, même si les relations entre diverses psychiatries ont leurs moments de relâchement. Les exercices exclusifs demeureront parfois la règle ; il devrait cependant être bien acquis que les échanges et les coopérations demeurent possibles et nécessaires, sans contrainte et en toute liberté. En particulier les psychiatres d'exercice privé doivent pouvoir participer, à temps partiel, au service public, dans des conditions honorables et stables, avec tous les avantages reconnus au service public et à la mesure du temps qu'ils lui consacrent. Cela est vrai pour l'activité de soin, mais devrait l'être de même pour les activités d'enseignement et de recherche inséparables des soins.
Ces inter-relations présenteraient le plus grand intérêt pour les uns et les autres. Dans une convivance facilitant les bonnes relations nécessaires, le libre choix toujours respecté du malade demeurera un facteur de partage essentiel et déterminant.
les principes d'une éthique
Pour une éthique de la Psychiatrie
Liberté et solidarité, libre choix et libre accès pour tous aux meilleurs soins, disparition des ségrégations, dépérissement des asiles psychiatriques.
Ces mots, employés par les responsables politiques actuels, donnent une direction de travail pour des propositions concrètes sur le soin aux personnes souffrant de troubles psychiques et affectifs et présentant des conduites pathologiques.
1) Une information de la communauté sociale et de ses représentants sur la réalité des souffrances telles que les éprouvent un certain nombre de personnes dans la population est un des premiers devoirs des professionnels de la psychiatrie.
2) Mais la responsabilité essentielle, quels que soient le lieu et le mode d'exercice des professionnels du champ de la psychiatrie, est d'accueillir, d'écouter, de soigner les personnes souffrant de troubles affectifs et psychiques et d'impliquer l'environnement social. Cette responsabilité est issue d'une éthique qui ne peut être que commune à l'ensemble des soignants. Cela implique une analyse du champ de ce travail et une réflexion sur cette éthique.
En psychiatrie l'accueil, l'écoute, l'aide, le soin et la participation de l'environnement ne peuvent pas être séparés artificiellement, chacun ayant sa dynamique thérapeutique.
3) Ce travail ne peut se faire qu'avec la collaboration et le contrôle gestionnaire des usagers et des représentants de la population. Il appelle une attention particulière aux préoccupations de la population et aux besoins sociaux. Il implique une restitution à la communauté sociale d'une part de responsabilité dans l'élaboration des choix.
Cela permet un contre-pouvoir aux instances de tutelle et au pouvoir psychiatrique ; cela permet des réponses de solidarité envers ceux qui sont dits malades mentaux.
Pour les professionnels de la psychiatrie, la définition de l'éthique est l'art de la conduite : les troubles psychoaffectifs, les désordres de la pensée et de l'affectivité, les désordres de la conduite posent en effet d'emblée la question des libertés, liberté à l'intérieur du groupe social et liberté individuelle.
La démarche constante devra être celle de la désaliénation en n'ignorant ni la dimension individuelle, ni la scène sociale et politique.
Cette connaissance dynamique des troubles de la personne est le fait de la formation personnelle, professionnelle, théorique et non normative, issue de l'expérience de la rencontre avec les patients.
Cela permet de refuser, sur des bases techniques, que ces personnes souffrant de troubles psychiques soient enfermées dans une désignation aliénante de fous, forcenés, aliénés, de déséquilibres, d'arriérés, d'handicapés, bien souvent utilisée dans un mode de défense.
Tout système social a structurellement le besoin de se désigner des leaders, des modèles, de sélectionner les plus forts en marginalisant ceux qui ne rentrent pas dans les normes. Toute société a des besoins légitimes de se protéger de ses déviants. Il n'est pas question de nier les perturbations sociales provoquées par les comportements pathologiques, ni de nier la répulsion ou la peur que peuvent éprouver des personnes en contact avec une personne présentant des troubles psychiques ; mais il faut remarquer ici que la peur devant l'autre est constitutive de tout rapport dit normal à l'autre.
Historiquement, la psychiatrie s'est trouvée chargée de traiter spécialement les manifestations les plus apparentes de l'intolérable du rapport à l'autre. Ainsi les besoins de la société entrent en contradiction avec le respect de la personne humaine.
C'est la spécificité des professionnels de la psychiatrie d'être affrontés en permanence à la double contradiction entre les besoins de la personne souffrante et les exigences de l'ordre social, entre la fuite et le repli de la personne et le rejet de la collectivité. Le risque est inhérent à cette contradiction.
Issue de leur expérience, leur connaissance leur permet et leur impose d'avoir une position claire d'indépendance vis-à-vis des pouvoirs publics et de l'opinion publique en fonction de leur rôle unique : le service des personnes atteintes de troubles psycho-affectifs qui font appel à eux ou leur sont confiées ; aucune personne présentant des troubles psychiques, quelle que soit l'importance de ceux-ci, quelle que soit l'importance des troubles du comportement que sa pathologie provoque, ne peut être réduite à l'étiquetage de dément, d'aliéné, de malade mental, d'handicapé.
La tendance normative de toute société à rejeter, isoler, invalider les personnes souffrant de troubles psychiques et affectifs a pour effet d'accentuer ces derniers et de rendre plus laborieux les efforts des patients pour se soigner et plus difficile la tâche des personnes qui ont pour fonction de les aider.
Toutes mesures ségrégatives, fussent-elles issues d'une intention d'assistance, doivent être perpétuellement dénoncées et combattues. Bien plus, comme le souligne la Charte de la Santé, adoptée le 12 mai 1982 par le Gouvernement, pour que puisse être efficace un renversement des habitudes de ségrégation, des mesures, tant juridiques qu'économiques, délibérément inégalitaires, doivent être prises. Chacun est d'évidence particulier, il vit, il souffre d'une façon singulière échappant à toute équivalence.
L'objectif fondamental du soignant et de l'équipe soignante en psychiatrie, est de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour utiliser toutes les connaissances scientifiques actuelles, médicales, psychologiques, sociologiques, pour donner aux personnes atteintes de troubles psychiques les moyens d'accéder au maximum d'autonomie de pensée, de choix et d'action.
En conséquence, sept points apparaissent essentiels
1) Tout trouble mental est évolutif ; l'expérience prouve que la chronicité n'est pas irréversible. Les notions de maladie mentale et de handicap tendent à organiser la fixation.
2) Il n'y a pas de désaliénation possible sans un minimum d'autonomie économique vis-à-vis de l'entourage familial et vis-à-vis de la société. Il faut refuser catégoriquement que des soins et des conditions d'existence de qualité inférieure soient jugés suffisants sous le prétexte de la probabilité d'une prise en charge de longue durée ou du caractère aléatoire de la reprise d'une activité socialement rentable.
3) Les efforts des soignants pour permettre aux patients d'accéder à l'autonomie doivent passer par une conception de la solidarité avec eux qui prend en compte la réalité socioéconomique. Si l'accès à l'autonomie passe par une phase nécessaire de dépendance, celle-ci ne doit être que temporaire et non pas tutélaire, car tout pouvoir possède en germe le conservatisme.
4) La fonction des professionnels du champ de la psychiatrie est celle d'accompagnement de leurs patients et celle, éventuellement, de défense vis-à-vis du corps social et vis-à-vis des puissances de tutelle ; avec pour objectif la désaliénation des patients, le respect de leur situation spécifique, la reconnaissance de leur droit à la régression, le décryptage de leur demande au travers et au-delà des symptômes qu'ils présentent, et enfin leur autonomisation.
5) Ce service est commun à tous les professionnels de la psychiatrie. Il implique bien souvent un travail collectif. Ceci nécessite le décloisonnement des interventions, la reconnaissance de la qualification de chaque intervenant, le partage des responsabilités. Ce service s'appuie sur le dynamisme et sur les potentialités du réseau communautaire et de l'environnement social.
6) Il est inacceptable que les soignants puissent concourir en quoi que ce soit à cette dénaturation de la psychiatrie qu'est son utilisation à des fins de répression politique. Il est indispensable que les soignants puissent s'abstraire des valeurs morales, sociales, politiques dominantes. Celles-ci ne peuvent en aucun cas constituer le facteur déterminant de leur conduite professionnelle.
7) Le concept de prévention, s'il se réfère à une notion de normalité, le concept de guérison, s'il se réfère à une normalisation, et enfin le concept d'assistance, s'il nécessite l'étiquetage et l'invalidation, vont à l'encontre de toute démarche thérapeutique dans le champ de la psychiatrie.
les principes d'une conception législative
Des principes d'une conception législative
Au sein des disciplines médicales, la Psychiatrie est l'une de celles qui se trouvent là plus particulièrement confrontées aux principes fondamentaux qui régissent la responsabilité de l'action médicale et sa nécessaire évolution ; elle doit s'assurer que tout citoyen peut avoir accès aux meilleurs soins.
Elle est fondée aussi à revendiquer, pour tous les citoyens en état de détresse et de souffrance dont elle a à connaître, le recours nécessaire aux mêmes droits fondamentaux que les autres citoyens, dans tous les domaines et à tous les âges : les ressources suffisantes et les conditions appropriées doivent leur être assurées pour leur existence quotidienne, leur protection, l'épanouissement de leurs capacités et leur insertion dans la communauté, notamment dans le domaine des diverses activités et dans le respect de leur liberté individuelle.
Cela porte condamnation sans appel des régimes et lois d'exception qui mettent à part et font à la place, c'est-à-dire qui aliènent et qui invalident.
Il ne faut pas simplement défendre les acquis, il faut les faire progresser, en conquérir de nouveaux que l'évolution de notre société met à l'ordre du jour. C'est cette réalité-là qu'il est nécessaire de largement populariser. Ce sont des positions solides, qui doivent éviter illusions légalistes et critiques du dedans, illusions technocratiques aussi.
Une conception offensive des droits de l'homme, qui doit affirmer égalité des droits et solidarité de la collectivité, doit savoir assurer, au plan du droit commun et sans délai aucun, la solution de tout ce qui peut être nécessaire au maintien et au rétablissement de la santé (1). 1 ) Le très remarquable projet de déclaration des libertés soumis à la discussion des Français, Vivre Libres, constitue une réforme essentielle (édition de l'Humanité Juin 1975).
Toute une logique d'ensemble des textes actuels est à reprendre dans un esprit radicalement différent ; cela dépasse évidemment dans son ensemble le document présent, mais doit faire l'objet, en ce qui le concerne, d'une attention permanente.
Les critiques et les propositions constructives qui suivent, en accord avec ces principes, portent sur les dispositions concernant trois textes
l'article 64 du code pénal ;
la loi du 30 Juin 1838, et les dispositions qui pourraient la relayer ;
la loi du 30 Juin 1975.
La modification fondamentale de ces trois textes constitue un minimum indispensable et un ensemble indissociable.
Il restera ensuite, à partir de là, à demander que soient écartées les autres mesures d'exception et ségrégatives, qui avaient été instituées dans la législation française.
Comme introduction, ce texte tient à souligner qu'il fait référence à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et à tout ce qui doit être établi pour protéger ces droits.
L'article 64 du code pénal
La réalité de la vie psychique montre que toute procédure aboutissant à un non-lieu -annulation de l'acte - ne peut que renvoyer à une mort psychique. La conscience sociale et la connaissance scientifique ne peuvent plus accepter pareille notion, que seule expliquerait une conception anachronique.
Il convient donc d'inverser l'ordre des facteurs jusqu'alors envisagés.
La procédure, dans le cas où l'état de l'intéressé l'exige, n'est que suspendue :
- elle se continue dans la voie habituelle des procédures par défaut en ce qui concerne, notamment, la matérialité des faits et l'implication de tiers ;
- elle sera poursuivie lorsque une commission ad hoc aura conclu que le sujet peut prendre part à tout ce qui touche au problème de sa responsabilité pour aboutir à une décision judiciaire.
Dans l'appréciation permettant de décider que le patient ne peut temporairement prendre part au jugement, doit intervenir tout témoin, en particulier le médecin traitant.
De même, dans la composition de la commission ad hoc qui reste à définir, la présence du médecin traitant qui participe donc au projet thérapeutique, paraît s'imposer naturellement, s'il l'accepte, ainsi que celle des représentants de l'équipe soignante.
Loi du 30 juin 1983 sur le statut de la personne, et notion de loi non spécifique
L'évolution des idées sur les droits de la personne, comme sur les rapports de l'individu avec la société, une exigence plus concrète de liberté et de solidarité, placent de nouveau au centre d'une réflexion critique les solutions apportées depuis près d'un siècle et demi par le droit français aux problèmes posés par les personnes manifestant des troubles mentaux. Les moyens dont doit pouvoir disposer la Psychiatrie contemporaine, rendent enfin possible le dépassement de la loi de 1838, tant en ce qui concerne le rôle fondamental qu'elle confère à l'hospitalisation psychiatrique, que le système de placement, de recours et de contrôle qu'elle institue.
L'abolition de la loi de 1838, ou plutôt de ses dispositions actuellement insérées dans le code de la Santé Publique, suppose, au premier chef, la redéfinition, le renforcement et la démocratisation de l'action psychiatrique publique extrahospitalière, telle qu'amorcée depuis 1960, dans le cadre du secteur. Définition de l'équipe, de sa composition et de sa structure, de la formation et du statut de ses membres, de l'assiette géographique de son activité, des moyens matériels et financiers dont elle disposera, de ses rapports avec les institutions (Ministères, Conseils Régionaux ou Municipaux,...), tant en ce qui concerne son statut, son budget, que la détermination pluraliste de son sujet et de ses orientations. Elle suppose aussi la mise en place de moyens et de structures d'accueil, de soutien et de réinsertion qu'appelle le dépassement progressif des concentrations hospitalières psychiatriques.
C'est donc le cadre juridique d'ensemble, législatif et réglementaire de la Psychiatrie moderne qu'il s'agit, par ailleurs et d'abord, de définir.
Ce préalable nécessaire n'est certainement pas suffisant. Mais l'urgence d'une loi nouvelle ne se limitant pas au seul malade mental dans le cadre d'un seul établissement spécifique apparaît de plus en plus évidente.
Le champ médical et médico-social s'est largement développé et profondément bouleversé.
Les abus et les carences, tant en ce qui concerne l'assistance que le soin, peuvent se manifester de bien des façons et dans de nombreux endroits.
La notion de loi non spécifique protégeant la liberté de toutes les personnes bénéficiant d'une aide ou relevant d'un traitement, ne peut plus s'enfermer dans le champ restreint d'une pathologie particulière ou d'un lieu spécifique.
Une loi nouvelle ainsi conçue et rédigée, se situerait dans un domaine nécessairement très général, et dans des zones d'ombre où les droits des citoyens ne sont encore guère reconnus.
Le précédent de la loi de 1968
L'esprit et les méthodes d'élaboration de cette loi demeurent exemplaires :
- commission préparatoire présidée par M. Aydalot, puis commissions de travail précisant le point de vue médical, les préoccupations des juristes, commissions, enfin, procédant, dans toute la France, à une enquête approfondie faisant un bilan des difficultés, des suggestions et des avis.
Ce travail très original et cohérent, sans aucun rapport avec ce qu'aurait donné un replâtrage de la moitié concernée de la loi de 1838, en resta là.
Les mesures de tutelle, intéressant toutes les pathologies pouvant limiter l'expression de la volonté, n'étaient liées à aucun mode ou lieu de traitement et permettaient une gamme très diversifiée de solutions, associant le plus largement possible le patient à une gestion active de ses biens.
La réforme de l'autre moitié de la loi ne put être acquise, et le projet Caillavet tomba ensuite dans l'oubli.
Ainsi, des problèmes essentiels concernant la personne demeurent-ils en suspens dans le domaine médical et médico-social (et sans doute au-delà, mais ce n'est plus dans notre propos).
L'intervention médicale, sans accord de l'intéressé, correspond à des soins indispensables (et dont l'absence pourrait constituer une non-assistance à personne en danger) pour lesquels un consentement ne peut être obtenu (consentement impossible) ou retenu (consentement refusé, ou sans validité).
A côté de cette dangerosité pour soi-même, l'intervention peut être motivée par une dangerosité pour autrui.
Mais un domaine beaucoup plus général s'est développé, d'abus et de carences dans l'évolution rapide et récente d'une société en mutation, avec des moeurs et des pratiques nouvelles, des difficultés et des crises de tous ordres, les lacunes aussi d'une législation qui n'a pas toujours suivi.
Ainsi, les acteurs médicaux et médico-sociaux sont-ils confrontés à des situations nouvelles qui requièrent méthodes et moyens remaniant complètement ce qui existait naguère :
dans le champ médical, traumatologie, néonatalogie, survie prolongée de comas profonds et de curabilité douteuse, maladies d'évolution pénible et inéluctable, la légitimité d'un désir de mort, c'est-à-dire l'euthanasie.
- dans un registre différent, le champ de l'assistance, les situations de dépendance ou de contrainte, liées à la nécessité d'une aide permanente, mettant à la merci d'autrui pour assurer sa survie, avec une marge de liberté personnelle de ce fait particulièrement précaire et restreinte.
Là se situe le souci prévalent de nombreux parents d'enfants inadaptés inquiets de ce qui se passera quand ils ne seront plus.
Un noyau dur de malades mentaux subsistera certes, devant être soignés sans ou contre leur consentement, dans des cas où primeront les notions de gravité ou d'urgence, les obligations face à la dangerosité pour soi-même ou pour autrui. Cela ne représentera qu'une fraction très réduite du champ d'application d'une loi plus générale, mais nécessitera sans aucun doute des dispositions appropriées.
De la même façon, il existe dans la loi de janvier 1968 un article qui préconisé la gérance de tutelle pour certains malades hospitalisés, mais dans des conditions définies et d'importance limitée.
Une loi qui se limiterait à ce seul point (comme la loi de 1968 aurait pu rater son objectif en s'en tenant aux seuls malades mentaux) ne serait qu'un faire-semblant qui ne changerait rien à l'existant. Cet article en trompe l'oeil tendrait inévitablement à généraliser la maladie mentale de convenance quand se poserait un problème que l'on devrait résoudre ainsi, faute de législation adaptée. Cela ne ferait que perpétuer pour l'aliéné la fatalité de son destin institutionnel. Rien d'autre et rien de plus.
L'indication d'imposer un soin avec privation ou limitation de liberté est essentiellement un acte de responsabilité médicale, qui doit appartenir au médecin qui prend la décision et l'exécute.
Cette décision impose l'obligation d'en référer sans délai, dans les formes prévues par la loi, au Procureur de la République.
Cette décision doit se fonder conjointement :
1 - sur l'impossibilité, l'incapacité ou le refus de donner un consentement, ceci du fait de l'état mental du sujet ;
2 - sur la gravité du péril actuel ou potentiel qui résulterait d'une abstention thérapeutique pour les tiers ou les personnes concernées.
La déclaration devra faire référence à ces deux critères et ce, de façon descriptive, claire. Elle indiquera la nature des soins et mesures ordonnés, les lieux de leur exécution ; elle pourra mentionner l'accord de l'équipe qui concourt à l'application des mesures.
Les autorités judiciaires prendront toutes mesures adéquates de contrôle pour motiver la décision qu'elles devront prendre. La procédure devra impliquer le sujet, ses proches, toute personne connaissant la cause, l'équipe soignante.
Tous les moyens de recours seront prévus par la loi.
L'absence de déclaration sera sanctionnée pénalement.
Il ne saurait donc être question que la loi de 1838 soit abrogée sans que les dispositions concernant les handicapés mentaux soient abrogées aussi dans la loi de 1975, étant donné le risque que le placement social qu'elle institue, ne vienne remplacer, sans contrôle ni protection, les mesures d'internement abrogées,
L'objectif étant bien de substituer aux lois d'exception, une capacité d'accueil et de soins, répondant à la réalité des besoins de la population. L'histoire nous montre que des mesures de protection supplémentaires apparentes interviennent toujours pour combler la pénurie des actions sociales et médicales. C'est ce qu'il s'agit d'éviter.
Dans cette perspective, il appartient d'associer la population et ses représentants à toutes les mesures visant à l'intégration et la réintégration des patients.
Le vide juridique créé par une réforme de la loi de 1838 restée à mi-pente de son achèvement, fait se développer des initiatives inquiétantes et critiquables.
On en vient à gérer les personnes à travers la gestion de leurs biens ; ainsi, en ce qui concerne des placements, des contrôles des visites et des relations, de certaines interventions chirurgicales par exemple.
Ainsi s'affirme la nécessité d'une loi complémentaire de celle de 1968, qui reprenne pour toutes les personnes, et de façon aussi diversifiée et nuancée que l'avait déjà voulu la loi de 1968, des garanties quant à leurs droits et leurs libertés.
La médecine, comme l'assistance, connaissent leurs excès, leurs abus, et tout autant leurs limites et leurs carences. Il n'est pas normal qu'elles soient seules juges, et quelquefois victimes.
On doit, pour cela, faire l'effort considérable mais inéluctable d'un droit nouveau, à la mesure des interrogations et des obligations du monde présent.
Une mention spéciale doit être faite à propos des éducations spéciales et des M.A.S., - ces dernières doivent, quand elles reproduisent l'ancien asile, sans soins, sans personnel et sans contrôle, disparaître sans appel. Les mesures d'éducation spéciale, concernant les enfants présentant des troubles psychiques, doivent être examinées pour permettre la réintégration des enfants et des adolescents vers les institutions sociales ordinaires (écoles, formation professionnelle, accès à un emploi, soins, santé, accueil), ceci dans le cadre d'une concertation nationale et locale avec les usagers et les personnels.
Loi de 1975
La loi de 1975 en faveur des personnes handicapées interroge de façon grave et complexe, huit ans après sa promulgation qui, déjà, n'avait pas fait l'unanimité. Sans doute faut-il situer les réflexions et les ouvertures dans une certaine philosophie et dans un certain contexte.
On a pu opposer, dans l'ordre de ces textes, lois de réparation et lois de compensation.
Lois de réparation qui, prenant en compte réalités et virtualités positives, tirent vers le haut, si l'on peut dire, l'intéressé et visent ainsi à le réinsérer dans la mouvance vivante et stimulante de la société normale.
Lois de compensation, par contre, qui aménagent l'existant à la mesure de dimensions négatives, et conduisent tout naturellement à un enclavement peu ouvert et mobile, sous le double maléfice de l'assistance et de la mise à l'écart.
L'excellent premier article de la ici de 1975, référé à des droits communs, aurait pu développer une intention réparatrice. Dans les textes ultérieurs, les méfaits compensateurs se sont affirmés.
Le contexte de crise, la multiplication des échecs, des détresses, des misères ont considérablement amplifié cette vocation de point déclive où se sont déversés tous ceux qu'un système élitiste et égoïste marginalisait toujours plus.
La notion de handicap peut être réellement appréhendée, et ses solutions nécessaires effectivement et correctement définies, à la condition de dépasser les deux obstacles précédents, dont les effets ont perturbé et plus encore perverti les dispositions d'application de la loi de 1975.
Il faut dire, pour conclure, l'ampleur considérable des réformes ainsi envisagées. Elles ne pourront être réalisées d'emblée et très rapidement ; cependant elles s'imposent, et l'entreprise ne saurait être différée ou éludée.
Ce sera une oeuvre impliquant un travail considérable, associant des compétences d'origines très diverses dans le souci de résoudre des difficultés graves en les situant toujours dans le cadre d'un droit commun qui reconnaisse les personnes comme sujets et non comme objets, et qui évite de les enfermer dans un statut de mise à l'écart, de passivité et d'oubli.
Par-delà une orientation générale, ce texte ne pouvait évidemment prétendre apporter les réponses à toutes ces interrogations.
les principes de l'organisation de la gestion
les principes
L'hôpital psychiatrique a résumé, pendant des décennies, la psychiatrie de service public. Il en assumait toute la maîtrise dans le domaine administratif et financier. Il demeurait aussi l'interlocuteur unique et privilégié des autorités de tutelle.
Le progrès de la psychiatrie passe nécessairement et sans autre alternative, par son détachement de l'hôpital et son évolution, sans freinage, hors les murs et dans la communauté.
Il convient donc d'élaborer, de façon prioritaire, un système de gestion rigoureusement et constamment indépendant de l'hôpital. Cet organisme nouveau doit être capable de reconnaître et d'évaluer les besoins spécifiques de son champ d'action, contre des solutions standard préfabriquées et rigides, conduisant à un désajustement des réponses par rapport aux besoins. Cela suppose, comme condition essentielle, une large ouverture à la communauté et, contre un phénomène bureaucratique, une gestion démocratique.
Un Établissement Public de Secteur devrait avoir un rôle - d'étude, de promotion et de gestion administrative et financière (1) ;
- de représentation et de relations avec les pouvoirs politiques et leurs diverses expressions ; avec les autorités die tutelle et leurs divers niveaux ; avec les autres grands services publics, dans un souci d'harmonisation et de complémentarité.
Une très large place doit être réservée aux représentants qualifiés de l'ensemble démographique desservi, qui pourront ainsi exposer leurs critiques et leurs suggestions, et peser sur les orientations retenues.
Ainsi, cet Établissement public pourrait-il tout à la fois adapter toutes les actions de soin à une politique d'ensemble, tout en respectant les particularités des diverses pratiques et tout en prenant en compte les données plus particulières à tels aspects démographiques, sociaux ou autres, de la population en question. Ainsi, seraient tracées des voies diverses et dynamisme organisateur (au sens embryologique maintenu un du terme) permanent, soucieux d'une vocation de soin, mais également de formation, d'enseignement et de recherche (2).
(1) La globalisation actuelle des dépenses, confiée à l'hôpital pour sa gestion, aboutit à une mise sous tutelle des activités extra hospitalières qui n'apparaît en rien un facteur de progrès.
(2) "La diversité est une façon de parer au possible, elle fonctionne comme une sorte d'assurance sur l'avenir , (F. Jacob).


Gestion - Financement
Il faut donner à la psychiatrie publique les moyens d'assurer pour et avec les usagers soins et prévention, tels que la Charte de la Santé les a précisés.
L'ambition est d'arriver :
- à supprimer les lieux d'aliénation ;
- à donner aux secteurs psychiatriques les moyens d'une actualisation, d'une structuration, d'une démocratisation ;
- à associer à cette psychiatrie au service du public, des structures semi-publiques et privées.
Cette ambition passe par :
- la création de nouveaux cadres juridiques qui permettent une gestion dégagée de l'hospitalo-centrisme ; l'hôpital actuel incarne en effet une puissance administrative et financière massive et figée, à la mesure et à l'image de la fonction de régulation et d'exclusion qui demeure la sienne ;
- l'unification et la globalisation des modes de financement.
Cette ambition suppose :
- que le secteur se définisse par une unité géodémographique référée à une collectivité administrative familière (communes, groupes de communes, arrondissements, quartiers) qui tienne compte des traditions, des courants d'échanges, plus que des résultats d'un recensement ;
- que des lieux différenciés, y compris à temps plein, relaient progressivement les concentrations asilaires, permettant de moduler les soins et aussi l'assistance.
1 - Un cadre juridique nouveau
Il faut donner aux secteurs un statut juridique :
- soit directement, le secteur devenant établissement public autonome (par exemple, pour un secteur correspondant à une commune) ;
- soit en créant l'établissement public à l'échelon départemental, les secteurs étant alors des établissements annexes qui n'auraient pas la personnalité morale, mais bénéficieraient d'une autonomie de gestion par attribution d'un budget annexe (par exemple, dans les départements ruraux) ;
- soit, formule intermédiaire, par groupement, l'établissement public réunissant un certain nombre de secteurs et d'intersecteurs en fonction d'une certaine unité fonctionnelle et territoriale (par exemple, l'arrondissement dans les grandes villes).
Ces trois formules pourraient être mises en place simultanément dans des départements différents, à titre exploratoire et donc révisable. Parallèlement, pourraient être envisagées des modalités évolutives, en fonction de l'expérience acquise ou de considérations locales, dans le sens d'une plus grande autonomie, chaque secteur ou groupe de secteurs pouvant, dans un délai à négocier, devenir établissement public, se séparant d'un établissement départemental initial.
Cet établissement, unisectoriel ou, le plus souvent, plurisectoriel, vient se substituer à l'établissement public autonome qui est actuellement le centre hospitalier spécialisé. Celui-ci, en droit, disparaît. Il n'est plus que la juxtaposition d'antennes hospitalières gérées par le ou les établissements publics sectoriels.
2 - Les organes de gestion
L'établissement de secteur assure la gestion de l'ensemble des personnels et des lieux de soins, affectés aux-dits secteurs, et qui relevaient traditionnellement de la D.D.A.S.S. et du Centre Hospitalier.
Si les antennes hospitalières sont situées dans un C.H.S., celui-ci comporte une direction annexe, aux missions provisoires d'administration des parties communes de l'hôpital et du personnel des services techniques et généraux (buanderie, cuisines, jardins, ateliers,...).
Si l'antenne hospitalière est un centre hospitalier général, convention est passée avec lui par l'établissement de secteur pour déterminer les conditions de fonctionnement de cette antenne hospitalière.
Des conventions sont également passées avec les établissements semi-publics ou privés -ou les établissements privés faisant fonction de publics- implantés dans le secteur ou le département et qui acceptent une coordination et une harmonisation des objectifs.
Les organes de gestion comprennent :
Un Conseil de secteur associant médecins et autres personnels, soignants, administratifs et techniques, les organismes payeurs, les élus, des représentants des tutelles, des usagers, des personnes qualifiées par leur rôle ou leurs compétences, représentants d'associations ou de services (Éducation Nationale, Justice, notamment).
Un Conseil d'Administration, émanation décisionnelle du Conseil de secteur, à répartition tripartite (autorités de tutelle et collectivités débitrices, élus, personnels désignés par leurs organisations représentatives) ; ce Conseil d'Administration est assisté d'un Directeur chargé d'exécuter les décisions du C.A.. Le Directeur, suivant le nombre et la structure des secteurs rattachés à l'établissement public, est lui-même secondé par une équipe de direction dont un Attaché de secteur. Cet attaché de secteur est plus spécialement chargé du budget propre à ce secteur, permettant l'intégration du niveau administratif à l'équipe de secteur.
Mais ce cadre administratif nouveau ne devra en aucun cas reproduire les pesanteurs et l'enlisement asilaires, et pas davantage l'éparpillement ou la dilution des structures ouvertes.
La tutelle est naturellement assurée par la D.A.S.S., celle-ci retrouvant sa mission originelle.
Ces organes de gestion sont complétés par :
- un Comité Technique Paritaire des personnels du nouvel établissement public, aux compétences élargies ;
- un Collège de confrontation et de recherche, départemental, permettant de comparer les expériences et de susciter des innovations, de promouvoir un travail, dans le registre par exemple de la psychopathologie ou de l'épidémiologie, dont le nouveau secteur devient le vecteur privilégié ;
- une instance départementale de concertation, associant administratifs, organismes payeurs et représentants des Conseils de secteur. Cette instance pourra notamment étudier les plans directeurs, sectoriel et départemental, et fixera les programmes de réalisations annuels ou pluriannuels, contrats d'objectifs incluant les missions du personnel (programmes de prévention, réponses aux demandes émanant de lieux de soins non psychiatriques), le devenir des antennes hospitalières de C.H.S. y compris leur reconversion, la mise en place de nouveaux modes d'accompagnement des patients (lieux polyvalents, habitats protégés...)
3 - Modes de financement
Deux aspects sont à envisager
- le choix de l'agent payeur,
- le choix du mode de prise en charge,
La distinction entre activité de soins et activité de prévention ayant fait l'objet de nombreuses critiques, il paraît indispensable de s'orienter vers un financement unique de l'activité psychiatrique.
1) C'est donc pour un système global de prise en charge de ces dépenses qu'il est nécessaire d'opter. Plus aucune différence ne devra être faite entre les activités hospitalières et extra-hospitalières
2) A la présentation par nature des dépenses, il sera nécessaire d'ajouter une présentation par fonctions.
Tous les crédits seront répartis en fonction de leur lieu réel d'utilisation, chaque lieu ou chaque activité étant doté d'un budget de fonctionnement résumant toutes les dépenses qu'il engendre pendant l'année.
Le budget unique sera construit à partir des éléments d'activité de chacune des structures concernées, lesquelles regrouperaient toutes les possibilités de soins et de prise en charge des malades, chacune de ces structures étant un ensemble cohérent constituant un Centre de responsabilité où il soit possible de dégager des coûts réels sur les différentes natures des dépenses.
Le budget unique reprend toutes les caractéristiques des budgets actuels et comporte un volet activité, un volet dépenses, un volet recettes.
Activité : l'activité prévisionnelle est recensée au niveau de chacun des services médicaux par cas traités, par unité d'oeuvre et, le cas échéant, par type de prise en charge.
Cette activité ne serait plus mesurée en nombre de journées d'hospitalisation, mais par nombre de malades traités.
Elle devra prendre en compte, sous forme d'indices, les initiatives novatrices, les temps d'intervention auprès des collectivités du champ médico-social.
Après élaboration des budgets de secteurs et compte tenu des éléments relatifs à l'activité et aux dépenses prévisibles, une négociation s'engagerait avec les organismes payeurs ; après accord sur les objectifs définis et leur coût prévisionnel, un acompte mensuel correspondant au 1/1 2 serait versé à l'organisme gestionnaire de l'activité de secteur.
Les mécanismes faisant intervenir un coût forfaitaire par malade n'apporteraient aucun avantage et reconstitueraient les vieux systèmes des prix de journée, avec la tentation de les multiplier et le génie morcelant qu'il a toujours déterminé contre l'unité d'un travail d'ensemble.
Un organisme collecteur devrait réunir les diverses contributions financières en un ensemble, qui consacre par là même la limite du travail de secteur.
4 - Conséquences
- Unification du statut des personnels : disparition des inégalités actuelles suivant que l'organisme payeur est la D.A.S.S. ou l'hôpital (cas notamment de certains infirmiers, des assistantes sociales, des psychologues, des personnels médicaux...
- Possibilité de favoriser l'innovation, par la dotation de subventions annuelles ou pluriannuelles, mesures inégalitaires pour aider des équipes à sortir d'une situation particulièrement difficile ou archaïque, pour en aider d'autres à développer une formule originale mais non forcément reproductible visant par exemple la réhabilitation des plus chronicisés et des plus exclus.
- Souplesse de fonctionnement diminuant l'étanchéité actuelle entre secteurs voisins. Ainsi, un établissement public pourrait associer un secteur répondant à une population de 30.000 habitants parce que sociologiquement homogène, et un autre secteur de 60.000 habitants parce que représentant une unité géographique. De plus, possibilité de ne plus opposer psychiatrie de l'enfant et psychiatrie de l'adulte, permettant des échanges et pouvant réaliser des secteurs globaux avec différenciation seulement au niveau des acteurs.
- Dépassement résolu de l'asile sans licenciement de personnel mais, bien au contraire, recrutement soutenu avec, à plus ou moins court terme, reconversions
- si nécessaire, de certains personnels, soit par promotion personnelle, soit par intégration dans d'autres collectivités (communales par exemple) ;
- de façon planifiée et progressive, des locaux ; la désaffectation pavillon par pavillon sera choisie par priorité chaque fois que l'implantation et les négociations locales permettront la transformation vers la communauté locale (maison communale, école, auberge de jeunesse, foyer... ). L'option d'une reconversion sanitaire ne pourra être acceptée que si elle introduit des services de haut niveau et non pas des structures peu médicalisées type longs séjours, dont la coexistence avec des services psychiatriques actifs réintroduirait l'exclusion et la ségrégation.
les principes concernant le personnel
Les soignants et leur formation
La question essentielle qui se pose aux équipes de santé mentale est, en fait, sa réorganisation complète de leur travail collectif. Ce travail dans le secteur apparaît très différent de ce qu'il pouvait être dans le cadre hospitalier. La responsabilité de chacun devient beaucoup plus importante et doit être reconnue comme telle, en fonction de la qualification, de la compétence, des interventions qu'il effectue. Elle s'inscrit dans un travail partagé, laissant à chacun une beaucoup plus grande liberté, mais impliquait par là même une coopération beaucoup plus importante, pour maintenir une cohérence sans lacunes. Les rapports de pouvoir en sont considérablement remis en question nécessairement et légitimement.
I - Les infirmiers
Il importe de réaffirmer la spécificité de l'infirmier de secteur psychiatrique. Le risque de disparition de la profession existe. Les menaces peuvent venir notamment de :
- la multiplication, dans les équipes, d'autres personnels paramédicaux (psychologues, assistantes sociales d'hygiène mentale, éducateurs, rééducateurs de la motricité et de la parole, kinésithérapeutes, ergothérapeutes, animateurs, ... ). Tous ces nouveaux techniciens empiètent plus ou moins sur les rôles traditionnels ou supposés de l'infirmier psychiatrique, et plus spécialement dans l'extra-hospitalier.
- la multiplication des emplois sous-qualifiés, essentiellement les A.S.H. et les aides-soignants. La multiplication des premiers a été rapide depuis l'extension de leur recrutement aux C.H.S. (arrêté du 9 janvier 1978). Rappelons que dans les hôpitaux généraux, les A.S.H. sont déjà aussi nombreux (99 064) que les infirmiers D.E. (99 222). Les A.S.H., certes, libèrent l'infirmière d'un certain nombre de tâches matérielles (ménage, linge), mais où sont les limites si les repas et les toilettes ne sont plus du domaine de l'infirmière psychiatrique, celle-ci privée de moments relationnels importants ?
- la non-reconnaissance du diplôme français au plan européen, l'infirmier de secteur psychiatrique échappant à la filière du diplôme d'État. Cette anomalie doit être corrigée.
Or, cette spécialité du rôle de l'infirmier de secteur psychiatrique, déjà contenue dans le titre de son diplôme, est manifeste en plusieurs points :
- la prise en compte globale de la personne présentant des troubles psychiques, à la fois dans ses dimensions somatique et psycho-affective.
- l'usage de la relation avec la personne souffrante, par le verbe mais aussi dans tout l'accompagnement du patient, spécialement du psychotique, dans les actes de la vie quotidienne, institutionnelle ou non-institutionnelle, dans toutes les médiations relationnelles - expression plastique, maniement de matériaux, loisirs - et dans une recherche permanente autonomisation du sujet malade.
Sous forme imagée, cela pourrait être avec et à côté, mais pas à la place.
- l'ouverture sur la communauté, cet accompagnement ouvrant sur la cité, la découverte des potentiels d'accueil et d'intégration dans l'environnement plus ou moins immédiat et dans diverses collectivités sociales, culturelles, etc...
Mais cette spécificité ne doit pas être corporatiste et exclusive :
- l'infirmier de secteur psychiatrique fait partie d'une équipe multi-disciplinaire dans laquelle les échanges et le travail de groupe permettent de reconnaître la spécificité de chacun, mais aussi d'en gommer les frontières.
- les équipes sectorielles doivent pouvoir intégrer des infirmières diplômées d'État qui souhaitent ce mode d'exercice ; à la condition toutefois qu'elles ne soient pas utilisées préférentiellement pour les soins somatiques, recréant alors un clivage dans la globalité de la démarche soignante.
- la différenciation des lieux et des modalités de soins dans le secteur doit permettre aussi que les personnels techniques, administratifs, voire les personnels de service, soient réellement associés à l'équipe soignante et collaborent aux projets thérapeutiques.
Ceci ne paraît pas possible dans les unités de soins d'un compte tenu de l'inévitable hiérarchie des C.H.S. traditionnel, personnes et des tâches. Là, et sans doute aussi ailleurs, peut être souhaitable le recrutement d'employés des collectivités (issus des lycées techniques) au rôle strictement hôtelier et qui remplaceraient avantageusement les actuelles A.S.H..
Leur fonction doit être très distincte de celle des personnels soignants.
Cette spécificité trouve sa source et son renouvellement dans la formation :
- la formation préalable s'est enrichie et allongée successives depuis 1954. Elle représente un bagage de qualité, mais qui reste trop souvent encore compilatif et insuffisamment adapté aux missions multiples du futur diplômé, en particulier hors de l'institution hospitalière.
- après cette formation initiale (mais aussi pendant celle-ci) la formation permanente devra d'abord être un travail interrelationnel dans l'équipe, permettant le travail sur soi et une certaine forme d'inter-contrôle réciproque. L'écoute, la relation au malade, sont en permanence formatrices, si elles sont reprises, restituées à l'histoire du sujet, situées et contrôlées par rapport à soi-même.
C'est ainsi que peut se développer, s'affiner, la spécificité soignante de l'infirmier de secteur psychiatrique, lui permettant d'atteindre la pleine responsabilité de ses actions dans l'équipe et non plus dans la dépendance de la seule hiérarchie médicale.
PROPOSITIONS
1 ) Il faut tout d'abord que les pouvoirs publics réaffirment leur fidélité au diplôme d'infirmier de secteur psychiatrique et à sa qualité :
- en obtenant la reconnaissance européenne de ce diplôme
- en renonçant à un diplôme d'État de base complété par une spécialisation seconde en psychiatrie (comme en puériculture ou en chirurgie).
2) Les modalités de travail doivent être examinées en dehors des contraintes de la routine et de la bureaucratie :
- affirmation que le secteur est un, extra et intra-hospitalier réunis, et il faut dénoncer la situation actuelle qui fait que la très grande majorité des infirmiers ne sortent pas de leur rôle strictement hospitalier.
- cette unicité permet d'affirmer que les statuts sont strictement égaux, c'est-à-dire qu'un infirmier (mais aussi une assistante sociale ou un psychologue par exemple) recruté par la D.A.S.S. ou par le C.H.S. a, dans un même secteur, droit à la même échelle indiciaire, aux mêmes avantages en nature, aux mêmes primes.
- la mobilité d'un lieu à l'autre doit être facilitée par un ordre de mission établi de façon permanente.
- le mode de fonctionnement selon les 3 x 8 doit être dénoncé comme favorisant la routine et l'irresponsabilité. Il faut restituer à l'équipe la maîtrise de la distribution de ses temps de travail, en fonction du droit du travail, mais aussi en fonction des besoins spécifiques des patients, des moments forts de la relation thérapeutique.
3) Il faut modifier la formation
- il faut manifester plus clairement dans les textes que la formation débouche sur à la fois la responsabilisation soignante et sur l'interdépendance des actions thérapeutiques dans le sein de l'équipe. C'est donc plus l'esprit du programme E que son contenu qu'il faut modifier.
- la décentralisation des centres de formation est nécessaire , la solution d'un centre unique départemental est en général à éviter, pour se rapprocher au maximum des lieux de stage et s'intégrer le plus possible à la pratique. Il serait bon de prévoir que quelques centres de formation n'aient pas d'attaches hospitalières, situation expérimentale qui pourrait être très féconde.
- la création du diplôme de moniteur a été une étape décisive pour détacher la formation des infirmiers de leur excessive dépendance de la hiérarchie médicale. Mais, en pratique, le fonctionnement des moniteurs à temps plein dans les centres de formation les ont le plus souvent coupés de la pratique et de la clinique, créant un clivage entre la théorie et la pratique qui pénalise gravement la qualité de la formation. Il est indispensable que les moniteurs réintègrent, à temps partiel, les équipes saignantes. Cela permettrait également que les équipes soignantes se sentent investies d'un rôle de formation à l'égard des élèves qui leur sont confiés.
- il faut redéfinir les objectifs de la formation permanente en indiquant qu'elle ne se résume pas à des stages coûteux dans tel ou tel institut spécialisé, mais que c'est à la fois une formation personnelle et inter-relationnelle dans l'équipe qui est essentielle.
Tous les problèmes qui viennent d'être évoqués sont le plus souvent actuellement recouverts par la gravité de la pénurie d'effectifs. On subit en effet les effets cumulatifs :
- d'un freinage considérable pendant plusieurs années du recrutement, au nom d'une politique d'austérité ;
- de l'accroissement des départs à la retraite (infirmiers recrutés en grand nombre entre 1945 et 1955)
- de la réduction du temps de travail ;
- et d'une certaine désaffection à l'égard de la profession, favorisée par la persistance des habitudes asilaires. La situation est si grave que certains établissements rapatrient sur l'hôpital les infirmiers détachés dans l'extrahospitalier ou suppriment même le travail extra-hospitalier qui se fait à partir de l'hôpital ; d'autres engagent des auxiliaires sans statut ; d'autres concentrent les malades présents dans un ou deux pavillons ; d'autres refusent les stages de formation permanente.
Ce constat doit aussi manifester que les normes utilisées sont totalement caduques, qu'il s'agisse de la référence officieuse de 78 infirmiers pour 150 malades ou d'un infirmier pour 10 000 habitants. Il faut réaffirmer que la réduction de la population hospitalisée ne doit en aucun cas s'accompagner de la réduction du nombre de personnels en service. Insistons aussi sur le fait que les petites unités de soins hospitalières, que de petites unités non hospitalières d'accueil et d'accompagnement, ne peuvent s'accommoder d'effectifs pénuriques. Faut-il rappeler que deux commissions des normes ont été réunies au Ministère il y a quelques années, mais que les résultats n'ont jamais été publiés, ni utilisés.
Il faut donc que les effectifs des Centres de formation augmentent de façon importante dès la rentrée scolaire 1982. Il est indispensable de rouvrir les Centres de formation qui avaient été fermés et d'inciter tous les Centres de formation importants à s'organiser pour augmenter de façon sensible leur promotion annuelle et, chaque fois que cela pourra être envisagé, pour accueillir deux promotions dans l'année.
On pourrait aussi envisager qu'une partie des élèves puisse bénéficier d'un cycle d'étude allongé sur 5 ans par exemple (comme les éducateurs), ce qui permettrait des stages à temps plein plus longs.
Enfin, une prochaine réforme du premier cycle des études médicales devrait s'accompagner de l'obligation, pour tout étudiant en médecine, de commencer ses études par un stage dé 6 mois ou 1 an comme infirmier, comme cela avait été envisagé en 1 968, puis rapidement abandonné. Ce serait l'un des éléments du tronc commun des professions médicales et para-médicales. Cela sensibiliserait les étudiants en médecine à la psychiatrie publique, mais cela aussi alimenterait les secteurs en stagiaires permanents.
II - Les psychiatres en formation
Grâce aux mesures prises après les événements de 1968 (disparition de la neuropsychiatrie - la psychiatrie devenant spécialité à part entière - reconnaissance des secteurs psychiatriques comme lieux formateurs, association de tous les psychiatres à l'enseignement), les psychiatres en formation disposaient d'une formation dans des conditions originales, hors du monopole universitaire et avec un internat spécifique.
Ceci a permis de former un nombre important de psychiatres d'exercice libéral ou mixte et aussi d'orienter vers la psychiatrie publique des psychiatres en formation motivés. C'est ainsi qu'ils ont participé activement au mouvement désaliéniste dans le cadre de la sectorisation. Ils ont même constitué un élément essentiel des équipes médicales de secteur, cachant souvent la misère des effectifs des médecins permanents.
Néanmoins, cette formation est restée déséquilibrée par la prégnance du pôle hospitalier ou asilaire, faute de disposer, pour les soins des patients et pour la formation de chacun, d'autre lieux et d'autres modalités.
Parallèlement, la formation manifestait clairement que la psychiatrie était une spécialité médicale, la part nécessaire des sciences humaines étant laissée à l'appréciation des étudiants, l'incitation pouvant à ce niveau paraître insuffisante.
La formation continue des médecins des hôpitaux, des psychiatres en particulier, n'est prévue par aucun texte. Aucune disposition ne l'organise ou ne la favorise. En un temps où la psychiatrie évolue rapidement et où la mise à jour des connaissances apparaît plus que jamais un devoir, il y a là une aberration remarquable.
Mise en oeuvre par référence au droit commun des autres personnels de santé, cette formation continue doit prévoir un très large éventail de possibilités : congrès, stages, rencontres, détachements, etc... et permettre d'acquérir, en France et à l'étranger, les notions nouvelles théoriques et pratiques, dont aucun médecin ne peut faire l'économie.
PROPOSITIONS
Des réformes sont sans doute nécessaires, au plan général des études médicales, et l'on peut réclamer :
- un stage d'infirmier, en début de formation, pour tous les médecins
- l'introduction des sciences humaines, de la psychologie, de la psychopathologie dès le 1er cycle ;
- la revalorisation de la médecine générale, avec un regard plus global sur la personne malade et moins strictement organiciste, avec un temps de formation égal à celui des spécialistes.
Pour la psychiatrie
- affirmation sans équivoque de la spécificité de la psychiatrie, spécialité authentiquement médicale, mais qui ne peut être banalisée parmi les autres spécialités ;
- maintien de la reconnaissance de tous les services publics de psychiatrie comme services qualifiants au même titre que les services universitaires, que certaines cliniques privées et que les stages chez les praticiens ; - le cycle de spécialisation en psychiatrie doit être représenté par les 4 années d'internat, la qualification étant délivrée à la fin de celui-ci ;
- des stages facultatifs de 6 mois chacun doivent rester possibles dans d'autres spécialités connexes (neurologie, santé publique, recherche) ;
- nécessité de perspectives de carrière ultérieure, actualisées, pour les psychiatres en formation, sous la forme d'un statut de psychiatre de secteur, de grade unique, dissociant par conséquent grade et fonctions, dans un mouvement de responsabilisation personnelle et d'un fonctionnement qui puisse devenir collégial.
Les personnels médicaux et infirmiers ont longtemps constitué, avec quelques assistantes sociales, la quasi-totalité du personnel des services psychiatriques. De nouvelles professions se sont constituées et ont manifesté leur intérêt pour ce champ d'activités : psychologues, psychomotriciens, ergothérapeutes, animateurs, esthéticiens, éducateurs dans certains services, services d'enfants en particulier. L'apport a été riche de cette pluridisciplinarité élargie, qui devrait d'une part, et là encore, dans une unité de fonctionnement et de statut, permettre à chacun de travailler dans les divers lieux où s'exerce la psychiatrie, qui devrait d'autre part permettre à certains de travailler à temps partiel, mais de façon suffisamment importante et continue.
Là encore, le lieu importe moins, que le lien avec les équipes de santé mentale et les usagers dans leur ensemble.
Ce n'est pas le lieu de développer ici ce progrès fondamental que représente la psychanalyse, et la valeur essentielle de ce savoir dans la compréhension et le traitement des difficultés psychopathologiques ; mais il faut affirmer la nécessaire faculté qui doit être assurée aux soignants en psychiatrie de service public d'acquérir et de cultiver ces connaissances, pour en faire bénéficier leurs patients.
Des évolutions majeures sont en marche, dans les soubresauts d'un monde en mutation rapide. Ainsi, notre démarche s'inscrit-elle dans un mouvement général des connaissances et des nécessités ; dans le domaine plus spécifique aussi qui est le nôtre et qui exprime ses interrogations et ses initiatives dans des formulations parfois imprévues ou des aspects surprenants ; foisonnement de débats, de contradictions et de combats dont il ne faut rien laisser perdre. Ainsi, toute une vitalité retrouvée bouscule-t-elle le vieux monde asilaire.
L'homme et le sort qui lui est fait, qu'il s'agisse du soigné ou du soignant, doivent demeurer, en tout cela, la préoccupation et la référence essentielles.
les principes concernant les institutions
Le dépassement de l'asile
La réalité héritée du passé dont il est ici question concerne plus de 100 000 lits dans le pays. Cette masse énorme constitue un élément du patrimoine de l'Hôpital Public, mais aussi une institution largement dépassée qui fonctionne pour son auto-reproduction. Elle absorbe 80 % du budget de santé mentale.
Inadaptée ou insupportable, cette réalité a été régulièrement remise en cause. Souvent amorcé, le dépassement de l'Asile, encore récemment pensé, s'est toujours trouvé repoussé par l'éternelle rénovation de l'ancien.
Il est impossible de contourner ce problème et de fermer les yeux.
Le problème de l'hôpital psychiatrique est un point central de notre travail, car la crise de la psychiatrie y culmine et c'est dans ce lieu qui est toujours le théâtre essentiel de la folie que le pourrissement, parfois programmé, nous pose le plus de problèmes.
Le bilan spécifique de l'hôpital psychiatrique ne peut pas faire l'impasse :
- d'un processus d'envahissement administratif totalement cloisonné ;
- d'équipes médicales dramatiquement isolées et sous-équipées ;
- d'une hiérarchie paralysant les tentatives d'innovation au sein même des équipes saignantes ;
- de pénurie hôtelière souvent inadmissible où, à côté de pavillons parfois rénovés, cohabitent des concentrations intolérables d'où beaucoup de malades ne sortent jamais ;
- des services alourdis, où beaucoup de malades sont devenus des chroniques et où les thérapeutiques occupationnelles ont atteint leurs limites. L'anonymat, l'isolement, entretiennent bien souvent une violence quotidienne parfois extériorisée, le plus souvent larvée, qui peut instituer des relations insoutenables entre ces hommes et ces femmes condamnés à leur réciproque isolement et à leur commune ségrégation.
Sans doute le bilan fera apparaître des aménagements partiels, en particulier des parcs et quelques réalisations de décence.
De même, le compte du travail en dehors des murs n'est pas négligeable et les progrès sont certains, mais les processus de chronicisation se sont toujours reformés et la psychiatrie y bute plus que jamais.
I - Abolir l'asile
La voie tracée par le Ministre nous pose le problème en termes d'alternative. Nous devons trancher.
- La solution radicale (fermeture) est dangereuse.
- Nous préférons que soit retenue une voie française qui pose le problème en termes de stratégie de dépérissement (dont la finalité reste l'abolition de l'Asile), définissant une tactique de transition. Penser le dépérissement à long terme nécessite de penser la transition du dépassement à partir de l'Asile.
- Un impératif : éviter toute réponse maquettée, tout modèle. Le dépassement dialectique sera celui d'un héritage dont la réalité est à la fois institutionnelle, culturelle, locale, sociologique et économique. Seule cette voie apparaît efficace pour vaincre les résistances.
- Une réalité : ce mouvement ne peut partir de l'H.P., il doit être radicalement et très clairement entendu que le décentrement de tout le dispositif hors les murs et dans la communauté reste le mouvement fondamental et premier.
- Une première conséquence : à tous les niveaux, le clivage intra/extra-hospitalier doit être totalement proscrit.
- Une donnée essentielle : l'institution asilaire passe d'une vocation de gardiennage et de contrôle social révolue à une vocation, enfin définie et reconnue solennellement, de soins, entendue très largement et allant jusqu'à la fonction d'accompagnement social.
- Ceci amènerait à repenser et reformuler tout le dispositif du Service de Psychiatrie Publique. La notion d'un grand Service qui soit un véritable Établissement Public National de Psychiatrie implique une réflexion ultérieure pour définir le reste du champ social et professionnel d'exercice de la psychiatrie.
Cette fonction de restitution à la société civile du dispositif de soins de la maladie mentale assurera à ce dispositif communautaire cohérent une mission de travail médiateur contre l'exclusion et la ségrégation, contribuant au changement souhaité des mentalités et des comportements.
Ici, la stratégie doit être claire. Dès le départ, cette option de décentrage de tout le dispositif hors les murs, en mouvement vers son ancrage dans la communauté sociale doit être affirmée. La tactique et ses implications pratiques sont nettes. Nos options concerneront toute l'institution asilaire. D'abord la gestion. Le devenir des personnels. Enfin, l'avenir des établissements. Les hommes d'abord. Les murs ensuite mais les murs aussi.
L'articulation de la participation responsable dans des instances démocratiques s'inspirera du droit commun concernant le contrôle démocratique autogestionnaire des entreprises publiques. L'exigence première d'un processus de renaissance est cet immense effort de démocratisation.
- Pour vaincre les résistances, deux points essentiels : concernant les personnels, des options pour avancer ; concernant les murs, de l'imagination pour en sortir.
II - Les personnels : des options pour avancer
Reconnaître sa fonction de participation à un dispositif de soins et de réhabilitation implique des revalorisations statutaires et salariales qui devront être négociées avec les représentants des différentes catégories professionnelles.
Prendre en compte les réelles menaces qui ont pesé sur leur emploi, en tout cas qui ont freiné leur expansion, fait partie du bilan des résistances au changement.
Dans l'immédiat, il est du devoir des pouvoirs publics de donner toutes les assurances concernant l'emploi. De proclamer que toute norme ou tout comportement administratif liant les effectifs au nombre de lits sont proscrits à l'avenir. Assurer dès maintenant, par voie réglementaire, la réalité de la globalité et de l'unicité du dispositif. Ne plus parler qu'en termes de services, ou mieux, d'équipes de secteur, sans aucune référence à l'exercice défini par rapport aux murs ou hors les murs. De tels engagements par voie de circulaire auraient un effet désinhibiteur considérable (La circulaire du 9 mail 1974, très inégalement et médiocrement mise en oeuvre, esquissait déjà cela).
Réaffirmer pour toute catégorie de personnel la nécessité de promouvoir massivement des dotations budgétaires en personnel suffisantes.
Poser le problème de la hiérarchie dont l'excessive complexité alimente la bureaucratie.
Poser le problème de la notation, qui ne correspond plus aux conditions actuelles de fonctionnement et d'évaluation.
Tendre au grade unique pour toutes les catégories professionnelles.
Privilégier résolument la notion d'équipe en abolissant la référence à l'hôpital, au service.
Promouvoir le plus rapidement possible les projets de fonctionnement d'équipe proposés par les intéressés.
Selon les catégories
PERSONNEL ADMINISTRATIF
Services administratifs dont l'éclatement et la dispersion fonctionnelle dans la communauté (comme pour tout le dispositif) devront être repensés. Il faudra motiver les administrations pour gérer différemment. La refonte de la grille de salaire et de promotion devra être revue. Ne plus lier leur sort à celui des lits, mais aux nouvelles orientations de la gestion du dispositif des soins.
Leur participation au travail des équipes sera un facteur pédagogique essentiel de sensibilisation et de responsabilisation des catégories des services de soins et des services généraux.
Leur rôle de gestion du soin sera reconnu et reconcrétisé par leur participation à l'équipe de soin dans tous les domaines communs.
Nous ne reviendrons pas sur l'absolue nécessité de la décentralisation des dispositifs administratifs parallèlement à celle de tout le dispositif soignant hors l'hôpital.
SERVICES GÉNÉRAUX
Leur sort est lié à la maintenance du dispositif d'intendance et d'hôtellerie. Les problèmes d'emploi ne doivent pas être pensés statiquement en fermes de reconversion, mais de transformation. La tâche est complexe, difficile et d'autant plus urgente.
Elle devra donc être pensée en commun. Leur collaboration avec les équipes est une nécessité.
Ainsi, pour ces catégories, de nouvelles missions seront définies : travail dans la communauté dans le cadre d'un service public où leur tâche s'étendra à leur exercice professionnel dans les dispositifs hôteliers de toutes catégories (centres de soins, foyers, appartements thérapeutiques, participation à la réhabilitation professionnelle des usagers).
Des possibilités de reclassement dans d'autres administrations locales, ou de participation contractuelle avec elles, pourraient être envisagées.
PERSONNELS SOIGNANTS
Les seuls reconnus statutairement de secteur sont les médecins et les infirmiers. La pratique en a fait la catégorie qui est sortie en premier hors des murs. Le mouvement devra aller s'amplifiant. S'il est logique que le mouvement soit lancé d'une promotion dans la communauté, en aucun cas les dotations en effectifs soignants des lieux de soins hospitaliers ne seront négligés. Si le recrutement massif préconisé concerne l'ensemble du dispositif, il va de soi que cet obstacle serait levé.
L'acuité apparaît extrême des problèmes de formation professionnelle, initiale puis permanente. Il y a lieu de prévoir l'ouverture et l'élargissement des équipes à d'autres disciplines, ce qui n'est pratiquement jamais possible.: sociologues, urbanistes, juristes, architectes. La stratégie du dépérissement de l'Asile y gagnerait beaucoup.
Pour toutes les catégories de personnel, le problème de la formation est un facteur de désaliénisation essentiel. La pesée asilaire y est, ici aussi, très spécifique
Ne revenons pas sur le tarissement du recrutement et les fermetures des Centres de formation qui nécessitent une la reprise des recrutements (médicaux et infirmiers surtout), la réouverture des Centres, et une vigilance exceptionnelle concernant la réforme du 3ème cycle études médicales.
- Il faut décentrer, en outre, cette formation. Les lieux de formation dans la communauté sociale, universitaire et culturelle devront être imaginés et promus. La formation, en rupture avec l'hôpital, est à l'ordre du jour.
- Il faut pour cela repenser les structures de gestion de la formation continue avec tous les intéressés, l'assouplir et la mettre à la disposition des usagers.
- Ce qui implique la reconnaissance des lieux et des modalités différents, de formation initiale et continue. Les lieux de stage, de formation et d'enseignement, devront être variés et au plus près de la pratique nouvelle.
- Les échanges inter-équipes horizontaux sont à promouvoir et à reconnaître comme modalités extrêmement fécondes de formation et de perfectionnement. De même, toutes les modalités d'échanges et de stages, ouvertes sur le monde social et culturel, au contact des choses de la vie.
III- De l'imagination pour sortir des murs
- Vigilance concernant les extensions hospitalières très strictement contrôlées.
- Dévolution et programmation des crédits en fonction des seuls projets globaux à visée évolutive.
- Retenir et autoriser en priorité les reconversions dans le domaines culturel (salles de théâtre, spectacles, M.J.C., musées, etc ... ), touristique (pour les asiles de campagne), de l'habitat (le manque de logements, non seulement des assistés de l'hôpital, mais de la population en général, justifiant de telles options, différentes des hébergements ségrégatifs des M.A.S. et autres foyers occupationnels). Toute reconversion aura sa valeur dès lors qu'elle se fera hors du domaine asilaire ou de toute initiative visant à reconstituer des équivalents.
- Disparition des murs d'enceinte et prescription de leur démolition.
- Concernant l'intérieur des murs, mais intimement liées à leur présence, certaines pratiques, non généralisées mais trop souvent ignorées, doivent être abolies. A cet effet sont à préconiser
- Le libre accès des malades à toutes les structures extra-pavillonnaires
- L'ouverture de l'hôpital vers l'extérieur. Le potentiel qu'il pourra représenter sera mis à la disposition de la vie culturelle et sportive de la cité (équipements sportifs, jardins)
- Le respect de la Charte des malades devrait régler le problème de l'information sur les traitements et les expérimentations ;
- La gestion des biens hors de l'hôpital, voire du dispositif soignant : la nécessité d'un Service Public de gestion des biens (non spécifique aux malades mentaux mais dans le cadre beaucoup plus général dessiné par la loi de 1968, la gestion des biens ne devant pas se pervertir en une gestion des personnes) à caractère d'aide et d'éducation, individualisé et situé dans la communauté est une idée dont la réalité se fait jour de plus en plus ;
- L'ouverture. des pavillons fermés ;
- La suppression du pécule et la révision du travail thérapeutique.
IV - Pour conclure
Reprendre une idée souvent émise : demander au Ministère de donner immédiatement des instructions pour que des projets-bilans d'équipes de secteur soient demandés, au moins pour permettre aux potentiels désaliénistes (surtout médicaux, infirmiers et administratifs) qui sont désireux, même si non encore majoritairement, de tenter des avancées de pouvoir les réaliser.
Cette politique de brèches ouvertes dans le dispositif aliéniste est un moyen réaliste d'avancer, dans le sens de la transition vers le dépérissement. L'effet d'entraînement et d'encouragement d'une telle politique n'est pas à négliger, au-delà des réflexes de crispation défensive qu'elle ne manquera pas de provoquer sous différentes formes auprès des forces les moins résolues à s'engager dans la voie du progrès en psychiatrie.
Notre souci a été de pouvoir travailler dans une direction difficile : celle qui proposera une voie attendue et ardemment désirée depuis longtemps par des forces de progrès dans le champ asilaire et qui sont réelles et vivaces : trop longtemps inhibées aussi par une politique de pourrissement et de dépérissement qui, sous couvert d'idéologies supposées anti-asilaire, n'a fait le lit que de pratiques ségrégatives, dont la loi de 1975, instituant le handicap et la ségrégation, est un élément essentiel à considérer et à étudier pour en faire le procès et en exiger l'abolition en même temps que celle de le loi de 1838.
Ainsi, l'hôpital psychiatrique, né de la loi de 1838 e devenu lieu et caution de l'aliénation et du rejet, a-t-il perdu son rôle de moteur de la recherche, à l'inverse de l'hôpital général. Recueillant et entreposant échec, misère et isolement, bien loin d'être un facteur de réduction des inégalités, en consacre les ravages.
D'autres formes de services hospitaliers se sont individualisées :
- Les services qui sont implantés dans un hôpital général structures moins ségrégatives, de plus petite taille, mieux adaptées pour traiter les urgences, mais a l'opposé, sous-équipées par rapport aux services de soins somatiques, lieux de réjection des malades mal tolérés dans les autres services, personnel soignant déspécifié, difficultés de services isolés et exclus, peu entendus souvent dans les instances de discussions ou de décisions.
- Les services hospitaliers virtuels. Les secteurs à implantation préalable qui n'ont pas encore de lieu d'hospitalisation spécifique. Situation stimulante qui aide à trouver d'autres solutions que celle de la facilité de l'hospitalisation, mais avec la tentation ou l'obligation d'envoyer ailleurs les patients nécessitant néanmoins un séjour à plein temps dans une institution.
Les autres institutions psychiatriques de secteur
A en croire les chiffres donnés aux 9èmes journées de l'hospitalisation publique, seraient actuellement recensés au plan national :
- 72 foyers de post-cure ;
- 255 hôpitaux de jour ;
- 107 hôpitaux de nuit.
A ces mêmes assises, J.P. Fischer précisait : " On y observe au bout de quelques années les mêmes phénomènes de comportement que dans les hôpitaux psychiatriques, mais on refuse de mettre en cause ces structures qui, au bout de quelques années, ne servent plus à rien car elles n'assurent plus aucune productivité sociale réelle ".
Or, comme nous le dit Jeanson, " Il ne suffit pas de soigner les gens in vitro, en les mettant sous cloche ; on ne saurait les soigner in vivo, dans les conditions réelles d'existence, qu'en faisant délibérément appel aux ressources de leur environnement social ".
La réponse est-elle donc dans la désinstitutionnalisation ?
la désinstitutionnalisation
1) Les voies étrangères
- La voie anglaise : l'antipsychiatrie et les communautés thérapeutiques s'y sont beaucoup rapprochées du mouvement psychanalytique et aboutissent à des expériences très remarquables (Arbours).
Mais que devient le mouvement de fermeture des hôpitaux psychiatriques classiques ? Il semble que le mouvement, très actif dans le début des années 70, ait perdu de son élan dans le contexte de la crise économique, que des situations asilaires se soient reconstituées ailleurs.
- La voie américaine : le discours de Kennedy (1963), le contexte de contestation de la société et de la culture (dans les années 60-70), ont permis un vaste programme de fermeture des hôpitaux psychiatriques et de création de centres de santé et de prévention dans la communauté. Mais là aussi la crise économique, certains abandons de patients après une longue dépendance hospitalière, des passages à l'acte de patients chassés de l'hôpital, ont bloqué le mouvement de désinstitutionnalisation, tandis que continuait à se développer " une sorte de dilution de la psychiatrie dans le tissu social aboutissant à psychiatriser insensiblement un certain nombre de secteurs de celle-ci : éducation, justice, prison... ".
- La voie italienne : voie radicale de la loi 180, appliquée et efficace là ou elle a été préparée : 4 régions sur 20, celles des plaines du nord où, soit le mouvement du M.A.I. (Basaglia), soit la sectorisation, avait mis en place des alternatives hors de l'hôpital. Ailleurs, l'application aveugle de la loi (abandons de malades), les résistances ou sabotages de lobbies professionnels, les angoisses des familles, vont peut-être aboutir à une réforme de la loi avec le risque qu'à travers elle des lieux de chronicité soient ressuscités... dans les anciens H.P. (projets de la Démocratie Chrétienne).
2) A la recherche d'une voie française
Le pays connaît le même contexte économique défavorable qu'ailleurs, mais une situation politique nouvelle qui peut être l'occasion d'un changement de cap de la psychiatrie publique (le discours de Rouen).
La politique de secteur marche à petits pas depuis 10 ans, après 10 autres années de surplace.
Nous ne voulons ni l'abandon des malades non autonomes (mais il y a mille chemins vers l'autonomie), ni la ségrégation charitable (transformer les malades en handicapés pensionnés), ni des néo-asiles dans la cité, ni une médicalisation de la folie (" alitons et médicons " !!! ... ).
Nous ne procéderons donc pas ici à l'inventaire des institutions dites légères ou intermédiaires dont les secteurs pourraient revendiquer la création. Elles sont multiples, elles ont leurs séductions et leurs dangers, leurs promesses et leurs illusions. Petites, diversifiées, insérées dans la communauté et largement ouvertes à son contact et à son influence, elles ne devraient jamais dégénérer en un lieu enclos et endormi.
Pas question davantage d'un modèle standard, reproductible dans chaque secteur et qui serait l'alternative magique à l'asile.
Ce qu'il faut, c'est un dispositif souple, évolutif, qui tienne compte :
de l'histoire du secteur
du profil sociologique particulier de celui-ci
de ce qui existe dans les domaines éducatif, culturel, associatif... ;
de ce que l'équipe peut entendre d'une demande exprimée ou latente (attendant souvent l'occasion de pouvoir dialoguer), par les familles, par les élus, par des groupes de population, par les usagers ;
des nécessités d'un accompagnement modulé : " protection, autonomie, de moins en moins de protection et de plus en plus d'autonomie, dans des milieux suffisamment diversifiés ". (U.N.A.F.A.M.).
Quelques repères néanmoins :
- éviter les structures à prix de journée dont l'induction asilaire est immédiate. La caricature en est ces établissements à temps partiel dans lesquels les repas arrivent tout préparés du C.H.S. parfois très éloigné ;
le pivot du dispositif, c'est le centre de santé mentale qui, comme le rappelle le ministre dans son discours de Rouen, est " un lieu d'accueil permanent, de soins ambulatoires, de consultations, et qui devrait aussi devenir un lieu de rencontres et de concertation, de coordination ouvert en particulier aux médecins généralistes ", C'est aussi un lieu de formation et d'enseignement ; c'est également le point de rencontre avec la psychiatrie infanto-juvénile dans une perspective globale de psychiatrie générale (1 ).
- Le lieu d'accueil 24 H sur 24, sectoriel ou intersectoriel quelques lits d'accueil, qui ne représentent pas une hospitalisation au-delà de la situation de crise et dont le coût en temps de personnel nécessitera souvent qu'il soit associé à d'autres formules de soins, tout en évitant le risque d'une concentration de lieux différenciés mais juxtaposés.
(1 ) La notion de département, regroupant deux secteurs de psychiatrie générale et un secteur de psychiatrie infanto-juvénile, à une échelle humaine, devrait réparer la cassure actuelle des deux psychiatries. Dans des conditions et des formes variables, sans nécessairement une confusion totale, cela constituerait le changement déterminant d'un progrès considérable et fondamental.
A partir de ce lieu, des urgences peuvent être prises compte, mais faut-il pour autant considérer que l'équipe psychiatrique du secteur doit intervenir en première ligne à tout appel (concierge, voisinage, police, etc ... ) ?
Les nécessaires liaisons avec les institutions non psychiatriques :
favoriser la circulation des patients et des soignants vers toutes les institutions de quartier ;
répondre à la demande des institutions saignantes telles que l'hôpital général, rural ou régional, les lieux de soins ou d'accueil des personnes âgées (y compris les équipes de soins à domicile).
3) Les limites de la désinstitutionnalisation
Tout le monde paraît s'accorder sur la nécessité du maintien d'une hospitalisation à temps plein. Il faut simplement préciser que le nombre de lits devrait progressivement pouvoir se limiter à une fourchette de 15 à 40. N'oublions pas que l'hôpital doit continuer à accueillir les patients qui échappent à la sectorisation et nous pensons en particulier aux sans domicile fixe particulièrement nombreux dans les mégapoles, le risque de chronicisation étant alors spécialement important si l'hôpital commet l'erreur d'assumer une fonction sociale.
Ce lieu hospitalier devra être implanté au plus près du secteur desservi, souvent adjoint à un hôpital général (le problème de Paris avec l'Assistance Publique, est très particulier).
Ce lieu doit-il être propre à chaque secteur ? C'est sans doute la règle à observer, mais le développement de départements devrait pouvoir permettre des initiatives intéressantes de lieux hospitaliers communs à plusieurs secteurs (Valenciennes).
L'implantation dans les C.H.S est sans doute inévitable mais à une condition, c'est qu'il s'agisse d'une antenne hospitalière d'un secteur dont la gestion doit se faire à partir de ce secteur. Il faut absolument casser l'hospitalo-centrisme de gestion.
Les antennes hospitalières de C.H.S. devront éviter que ne leur soit adjoint des structures à prix de journée différenciés (et donc plus bas), structures de long séjour ou M.A.S. qui reconstitueraient sur place des lieux asilaires à bas prix et cela d'autant plus que, dans une perspective de maintien de l'emploi, certains paraissent tentés d'ouvrir le C.H.S. à d'autres catégories d'handicapés. Il est d'autres lieux de soins pour développer l'emploi, moins négatifs.
4) Les institutions non psychiatriques
Elles présentent tout à la fois un double danger et une double carence :
- Institutions non psychiatriques, peu médicalisées, avec un personnel soignant peu nombreux (type hospice) vers lesquelles on dirige des patients psychiatriques, dits chroniques stabilisés, et qui n'y seront donc pas soignés. Rejet qui conduit à la reconstitution ailleurs d'asiles hypocritement considérés comme non psychiatriques.
- A l'opposé, refus des anciens malades psychiatriques dans les structures d'hébergement qui sont souvent trop peu nombreuses dans les grandes villes et qui, en conséquence, sélectionnent en éliminant par priorité les patients sortant des hôpitaux psychiatriques, laissant leurs difficultés en suspens.
L'erreur serait de multiplier les structures psychiatriques d'assistance faute de trouver des structures d'accueil non psychiatriques. C'est tout le problème de la gradation permettant à tel ou tel sujet de parcourir un circuit de moins en moins psychiatrisé, de plus en plus rapproché du mode d'existence de tout un chacun.
Le minimum de ressources attribuées à tout citoyen (et pas seulement aux handicapés ou personnes âgées) faciliterait à l'évidence une autonomie personnelle, sans recours à des structures collectives.
La désinstitutionnalisation n'est pas qu'une affaire de murs, c'est une politique et une pratique de soins. Si on ne veut pas en faire un mythe, il ne faut pas en faire un dogme.
La psychiatrie infanto-juvénile a su, plus vite et mieux que la psychiatrie générale, se détacher de l'appareil asilaire et trouver ainsi le chemin d'une avancée considérable. Elle est à cet égard un précédent et un exemple instructifx pour l'autre branche de la psychiatrie. L'écart qui les sépare étant peut être aussi le reflet de cette différence, l'harmonisation de leurs activités passe certainement en partie par une évolution du secteur qui a pris du retard.
Les questions que se posent les praticiens de psychiatrie infanto-juvénile seront très voisines de celles qui interrogeront leurs collègues.
Mais il est bien évident, là encore, que l'enfant ne peut être détaché de l'adulte dont il dépend, et que la psychiatrie ne peut être utile qu'à travers une activité cohérente suivie, unifiée, de ses diverses composantes.
Comme il a été dit, le département devrait être le creuset de cette convergence.
L'importance du phénomène associatif est une caractéristique de notre époque ; elle exprime le souci des citoyens de s'organiser pour prendre en main les préoccupations qui leur paraissent essentielles, de façon consciente et active.
Le service public de psychiatrie doit savoir se mettre à leur service, entendre et comprendre leurs soucis, leurs difficultés et leurs buts, les aider dans le cadre de leurs options, leur proposer des orientations, des suggestions, sans s'emparer ni prétendre acquérir un poids ou une maîtrise excessifs.
Les associations de parents d'enfants ou d'adolescents inadaptés, les organismes regroupant les diverses catégories de personnes en difficulté, les mouvements de buveurs guéris, doivent trouver là tout ce qu'ils en attendent.
les perspectives en psychiatrie de l'enfant
I La psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent est appelée à jouer un rôle moteur de premier rang dans le processus qui doit transformer le domaine de la santé mentale.
PLACE ET DYNAMISME EVOLUTIF DE LA PSYCHIATRIE DE L'ENFANT
L'expérience de la sectorisation privilégie le dialogue avec la population sur le thème de la souffrance psychique infantile. La pédopsychiatrie a occupé une place déterminante dans la mise en oeuvre de progrès décisifs :
- évolution de recherches cliniques, psychopathologiques et thérapeutiques : substitution de critères cliniques structuraux à la nosographie descriptive et statique ; déchiffrage, à travers tout fait psychopathologique, de perturbations des interactions de l'organisation relationnelle et de l'environnement, familial, social et culturel.
- développement des stratégies d'intégration ; réduction des clivages entre soin et prévention ; élargissement des approches thérapeutiques dynamiques.
- à travers ce mouvement d'idées et d'expériences, se sont révélées des potentialités nouvelles qui sont de nature à transformer le regard porté sur les enfants qui souffrent et le pronostic autrefois associé aux affections mentales les plus graves.
B. LE BILAN
Le bilan qui peut être établi aujourd'hui permet de souligner, à côté des efforts réalisés notamment dans le service public par les équipes des intersecteurs de psychiatrie infanto-juvénile, et des propositions de progrès, des facteurs de carence ainsi que le maintien et le développement de dispositions de caractère ségrégatif.
Les progrès dus au travail des équipes d'intersecteurs
Ils se sont exprimés dans le sens :
- d'un allégement des réponses ségrégatives et éducatives profil de démarches reconnaissant en tout sujet des potentialités et des droits ;
- du développement de perspectives de prévention, notamment primaires ;
- de la création d'équipes multidisciplinaires ;
- de la limitation de l'hospitalisation proprement dite de l'enfant au bénéfice de traitements discontinus et à temps partiel, ou ambulatoires, mais mobilisateurs d'une activité de soins intensive ;
- de la personnalisation des projets thérapeutiques et de la continuité de l'implication et de la responsabilité des soignants qui y sont concernés.
La circulaire n°443 du 16 mars 1972 relative au " programme d'organisation et d'équipements des départements en matière de lutte contre les maladies et déficiences mentales des enfants et adolescents " reprenait ces grands principes et fixait les modes d'application de la politique de secteur dans le domaine de l'enfance. Ce texte mentionnait l'importance d'une amélioration de la coordination :
- coordination entre les établissements et les services relevant des différents ministères concernés : Santé, Éducation Nationale, Travail ... ;
coordination entre les personnes, et notamment articulation avec les équipes des secteurs de psychiatrie générale, les structures dévolues à l'enfance inadaptée, les travailleurs sociaux intéressés, les services de pédiatrie, de protection maternelle et infantile, de la santé scolaire, de la justice, etc..;
- coordination à l'intérieur des services relevant du Ministère de la Santé et de la Sécurité Sociale en évitant, en particulier, les coupures entre le secteur sanitaire et le secteur social.
Les facteurs de carence
La mise en acte des perspectives qui avaient été ouvertes a été résolument bloquée du fait très particulier des carences suivantes :
- l'insuffisance flagrante du soutien apporté par les pouvoirs publics à une politique promotionnelle de la sectorisation et de la psychiatrie infantile
le blocage des équipements : tous les intersecteurs n'en sont pas pourvus ; le responsable est souvent seul ou presque ; le personnel est notoirement insuffisant ; la dimension des intersecteurs est trop grande ;
la poursuite du développement d'institutions en internat morcelées, créées sur la base de critères périmés, répondant à une diversité anarchique d'initiatives, favorisant le maintien de filières ségrégatives ;
l'absence de création ou le fonctionnement désuet des Conseils de santé mentale ;
l'absence d'organisation des conditions d'une coordination efficace entre les différentes instances appelées à intervenir dans le champ de la souffrance infantile ;
la dualité du financement et de la budgétisation de l'hospitalier et de l'extra-hospitalier, particulièrement nocive dans ce domaine et entretenant perversion des conditions de la pratique et exigence du recrutement avec prix de journée.
La loi du 30 juin 1975 : aggravation de la ségrégation et de la situation déjà défavorisée du service public de psychiatrie de l'enfant.
En fondant de nouveau des orientations sur les classifications traditionnelles, telles que le chiffre du quotient intellectuel et les handicaps les plus superficiels, elle privilégie la résurgence des pratiques ségrégatives et des filières de l'éducation spéciale ; elle entretient la méconnaissance des virtualités de tous les enfants, elle renonce à l'objectif d'aider l'enfant en chaque cas de difficulté, à transformer profondément sa personnalité et ses modes d'échange avec l'environnement.
Elle fait courir le risque, à tout enfant en difficulté, d'être aspiré par cette filière et ainsi d'acquérir le statut d'handicapé, au prix d'un étiquetage faux, dangereux, effaçant la dimension du sens et de l'évolutivité de toutes les perturbations globales qui déterminent ces handicaps apparents, et imposant des orientations et des mesures essentiellement rééducatives et réductives.
Dans les régions où l'équipement public est défavorisé, elle exclut radicalement le service public du rôle qu'il devrait jouer dans la prévention et la mise en oeuvre de traitements ambulatoires.
Elle met en place les conditions du développement subtil de la gestion des destinées, de l'orientation spéciale des personnes handicapées et d'un contrôle social massif.
Elle tend à aggraver de nombreux clivages, tel celui des attributions données au ministère de la Santé pour les malades et au ministère de la Solidarité pour les handicapés.
Le danger de ces clivages et découpages peut être retrouvé dans certains aspects de la circulaire n°82-2 du 29 janvier 1982 sur la " mise en oeuvre d' une politique d'intégration en faveur des enfants et adolescents handicapés ", signée par les ministères de la Solidarité Nationale et de l'Éducation Nationale. L'objectif de l'intégration scolaire est des plus honorables et des plus soutenus depuis des années par les équipes de service public de santé mentale infantile. Cependant, certains des moyens retenus reflètent l'existence des clivages, ici mentionnés et, de ce fait, appellent des réserves très sévères :
1) La référence aux personnels et aux équipements des intersecteurs de psychiatrie infantile n'est jamais mentionnée quand sont abordées des questions de la prévention, des soins et du soutien thérapeutique.
2) Le partenaire santé apparaît exclu de l'élaboration et de la responsabilité de l'application des directives proposées par cette circulaire.
3) La coupure entre malades et handicapés risque ainsi d'être renforcée, ainsi que le dispositif de la loi du 30 juin 1975.
Le danger d'une telle situation est tel, tant pour les projets d'intégration que pour l'évolution du statut des enfants en difficulté scolaire et le devenir du service public de psychiatrie, que l'attention des instances responsables doit être attirée sur l'urgence de lui porter remède.
Les choix et les contradictions opérantes
Dans le domaine général, comme dans celui de l'enfance, les progrès de la psychiatrie dépendent aujourd'hui d'abord d'une volonté politique : celle qui prendra simultanément en compte :
- l'objectif du développement de conditions thérapeutiques élevées ;
- celui de faire reculer la ségrégation, les tentatives de gestion et de contrôle de la destinée de ceux qui souffrent, aussi bien que de mobiliser la responsabilité communautaire, tout en luttant contre les positions fantasmatiques et les images sociales négatives de la folie et du handicap.
Une psychiatrie différente s'affirme sur le soutien déterminé d'exigences qui, superficiellement, peuvent apparaître contradictoires, mais qui, de fait, témoignent de potentiels particulièrement ouverts et dynamiques ;
rupture avec les logiques normatives ;
pratiques saignantes de haut niveau ;
interrogation permanente de la fonction institutionnelle ségrégative ;
travail de mobilisation d'un réseau communautaire conçu comme une structure vivante ;
développement d'un autre mode d'implication des équipes soignantes ;
formation de projets alternatifs.
II - De la logique normative à une nouvelle éthique
A. POUR UN CHANGEMENT DES MODÈLES IDÉOLOGIQUES
Le modèle idéologique qui domine dans le champ social à l'égard de l'enfant fou ou handicapé, privilégie encore les intentions d'assistance, de ségrégation ou d'une orientation conçue en fonction d'une conception utilitaire et rentable des rapports de l'homme à la société, qui aboutit à nier l'humanité du sujet atteint de souffrance psychique.
Une psychiatrie nouvelle, s'appuyant sur les acquisitions scientifiques contemporaines et refusant toute fonction de contrôle et de ségrégation sociale doit simultanément :
- fonder exclusivement sa mission de soins sur la reconnaissance des potentialités dynamiques de chaque personnalité infantile ;
- assurer une position qui peut apparaître subversive à l'égard des idées dominantes sur la maladie mentale et soutenir dans sa pratique l'idée que tout individu dépend davantage dans son humanité de l'imaginaire, du désir, du langage et des libres rapports interactifs qu'il établit avec le patrimoine social que de ses structures génétiques et biologiques données.
La plus importante découverte effectuée et éprouvée en psychiatrie de l'enfant au cours des quinze dernières années est sans doute la suivante : en arrachant de nombreux enfants aux institutions de rejet et de contention, en substituant, dans la culture, des concepts dynamiques au lieu et place des notions traditionnelles de constitutions et de déficit fatal, de nouvelles démarches sont nées, de nouveaux potentiels se sont développés, qui s'avèrent capables de faire reculer la tendance à la fixation des troubles des enfants et les rejets qui ajoutent à l'aliénation. Du même coup, les exigences de soins se sont développées et leurs effets ont été favorisés par des aménagements communautaires susceptibles d'être évalués.
Ces résultats quasi expérimentaux sont de nature à inspirer la représentation d'une autre logique fondée sur
l'affirmation de droits communs à tous les enfants ;
la déségrégation et l'insertion sociale ;
la restitution à la communauté d'une fonction sociale essentielle : celle de l'intégration des différences.
B. POUR UNE NOUVELLE ÉTHIQUE
C'est à travers l'évolution de la disposition à l'accueil, à l'accompagnement, à l'écoute, à l'implication profonde que peut se dessiner, dans la pratique de la psychiatrie infantile, une autre manière d'être, qui ne s'aliène pas dans la recherche immédiate de buts adaptatifs, mais qui, sans rien nier des exigences et des lois de la vie en société, interroge sur la recherche d'une autre façon de vivre ensemble et qui, sans prétention d'y répondre et de proposer des modèles, greffe cette interrogation dans la communauté, fondant ainsi une conception élargie du soin et de la prévention.
1) Les structures de soins
Les lieux psychiatriques spécifiques n'ont pas qu'une valeur immédiatement fonctionnelle. Ils symbolisent une fonction sociale et réfléchissent une intention. Il importe de concevoir prioritairement des structures de petites dimensions, banalisées, situées dans une étroite proximité naturelle avec le milieu social ; utilisées non comme épicentres concentrés de l'activité des équipes, mais comme points d'appui aptes à privilégier les situations de travail thérapeutique à temps partiel et à s'écarter, tant dans les dimensions et les aspects architecturaux que dans la répartition des espaces, de toute situation ségrégative.
2) Les projets de soins
Ils devraient constituer la base nécessaire de toute négociation sur les moyens et donner lieu à une évaluation régulière.
L'évolution contemporaine de la psychiatrie infantile permet d'ores et déjà de poser comme prioritaire le principe des thérapies relationnelles et structurales par rapport aux orientations rééducatives et symptomatiques. Un projet de soins doit respecter l'expression de l'enfant, y compris à travers le symptôme de sa souffrance et se garder des tentations offertes par les techniques de manipulations comportementales et de contention biochimique. De ce fait, la perspective du soin en psychiatrie infantile ne peut échapper à la fonction d'assumer une connotation apparemment subversive des exigences adaptatives immédiates. Ce sont la formation, le développement de la capacité d'assumer la confrontation avec les médiateurs sociaux et la mise en place d'un auto-contrôle régulier qui permettent de maintenir et de protéger une telle position.
Les sujets doivent se fonder sur l'établissement de contrats thérapeutiques individualisés et le respect attentif et total de la personne de chacun des enfants accueillis.
Le soutien en matière de financement devra favoriser les projets novateurs présentant de réelles garanties de promotion de l'activité psychiatrique infantile.
3) Le travail d'équipe
Le dynamisme d'une équipe dépend de la capacité qui lui est donnée d'un développement collectif de l'autogestion, de la responsabilité, de l'implication, de l'adhésion à un projet soutenu de formation et de contrôle. L'équipe pluridisciplinaire doit être d'une dimension humaine propice à des échanges faciles. La réévaluation des statuts devra être entreprise et tenir compte de l'importance et des risques qui s'attachent à une réelle implication de la personne dans les tâches de soins.
Le fonctionnement de l'équipe doit se fonder de l'établissement et de l'entretien d'une véritable continuité de l'attention portée aux enfants, pour éviter les hyatus et les clivages. Le développement de cette capacité d'attention et de partage des expériences émotionnelles suppose la nécessité d'un allégement des écrans bureaucratiques et organisationnels. Il passe également par un affinement des attitudes des soignants et notamment par la proscription de tout passage à l'acte, de toute intrusion, de toute négligence des formes d'expression de l'enfant, ainsi que par le soutien des capacités relationnelles des soignants.
III - La politique de secteur de la ségrégation à la pratique du réseau communautaire
L'intersecteur de psychiatrie infanto-juvénile doit être constitué sur la base de ses rapports effectifs avec les deux équipes de secteur de psychiatrie générale.
Ses fonctions essentielles sont :
la création et l'animation d'un réseau communautaire favorisant l'intégration, l'évaluation des besoins et la prévention dans le champ de l'enfance ;
la formation et le soutien dynamique des réponses thérapeutiques apportées aux souffrances psychiques des enfants dans un ensemble géo-démographique précis - le développement de la formation dans ses formes les plus larges ;
la coordination entre les différentes instances intervenant dans le champ de la prévention et du soin des enfants.
L'INSTITUTION
Les structures lourdes ne doivent plus demeurer les équipements prévalents, ni centrer le dispositif de soins. Les lieux de soins doivent correspondre à des dimensions légères, humaines, être localisés dans des lieux de vie ordinaires, banalisés, inscrits dans la communauté sociale. Elles doivent être ouvertes sur les expériences et les potentiels extérieurs, être animées par des équipes pluridisciplinaires, de la taille de groupes humains aptes à s'impliquer, à échanger et à s'autogérer. La distribution des horaires de travail en 3 x 8 heures doit être abandonnée.
Les initiatives privées et associatives dans la promotion de structures de soins, ne représentent pas nécessairement le mouvement alternatif souhaitable. L'anarchie, le morcellement et l'écrémage peuvent résulter de leur développement. De même, des systèmes d'assistance aliénante peuvent être reconstitués sous leur couvert.
En tout cas, une coordination alternative et démocratique devra assurer l'unité de la réponse aux besoins.
B. LE RÉSEAU COMMUNAUTAIRE
Il est un outil de travail essentiel. Il se fonde sur l'intervention concertée et aménagée de membres, de médiateurs et de représentants de la communauté desservie (familles d'accueil, enseignants, animateurs de loisirs et de centres de vacances, bureaux municipaux d'aide sociale, artisans, petits entrepreneurs, membres de comités d'entreprises, mouvements de jeunes, etc…)
Ce réseau doit se refléter dans le Conseil de secteur. Il doit être appréhendé et utilisé comme une structure dynamique et vivante, concernée par les pratiques de l'intégration, de la prévention, du soutien des projets thérapeutiques. Il participe à l'évaluation des besoins et à l'élaboration des projets novateurs. Il constitue l'espace apte à permettre pour les enfants des trajectoires diversifiées qui atteignent un niveau d'efficacité thérapeutique dans la mesure où l'on s'attache à les articuler régulièrement par une analyse attentive.
C. LE CONCEPT DE LA CONTINUITÉ DES SOINS
Il importe de dialectiser plus précisément sa signification.
Le principe de la continuité est fondamental pour valider un projet thérapeutique, la relation thérapeutique qui est engagée i entre un enfant et un soignant. Par contre, il est à discuter en ce qui concerne la prise en charge institutionnelle, dans la mesure où il peut alors favoriser les situations de gestion de la destinée des sujets, les procédures d'appropriation, d'aliénation et d'exclusion et où il risque de réduire la place de l'inattendu dans les trajectoires de vie, c'est-à-dire les temps les plus actifs et vivants du changement et de la mobilisation psychique des enfants.
C'est pourquoi devraient progressivement être privilégiées, avec les stratégies d'intégration communautaire diversifiées, les structures de soins intensifs à temps partiel (clubs thérapeutiques, hôpitaux de jour, appartements thérapeutiques), ainsi que des lieux d'accueil et de psychiatrie de crise pour les adolescents.
D. LE TRAVAIL DE COORDINATION
Il situe une dimension essentielle de la psychiatrie dont la fonction spécifique se déploie dans le champ de la contradiction suivante : partant d'une pratique sociale, elle doit nécessairement établir une position centrée par l'écoute et la relation singulière, la relation, l'accompagnement individualisé et l'analyse attentive des constructions imaginaires et des mouvements affectifs inter-agissants.
Ainsi doit-elle pouvoir, pour chaque enfant traité, réarticuler une histoire et une identité propres. Le travail est à soutenir sur deux scènes : celle de la vie sociale représentée par un réseau de médiateurs attentifs et dominée par une logique temporelle et significative de l'ordre de la vie collective ; celle, d'autre part, de l'inconscient, marquée par la capacité spécifique des soignants d'entrer en relation, d'accueillir, de supporter des mouvements émotionnels intenses et de les rendre intelligibles.
Ainsi, sans déplacer quoi que ce soit de sa mission thérapeutique, l'équipe de santé mentale doit établir et entretenir des articulations multiples avec tous les acteurs de la scène sociale sur laquelle l'enfant est concerné :
La famille et les médiateurs immédiats sont directement impliqués.
Les autres structures de soins spécifiques établies dans l'intersecteur. Cette articulation doit être établie dans l'esprit de mettre fin à l'anarchie des structures et des initiatives, et cependant sans établir de monopolisation du pouvoir institutionnel et technique. Autant dire que la mise en oeuvre d'une concertation et d'une réflexion effective et démocratique permettra d'éviter ce risque. Le conseil de secteur sera appelé à réguler l'ensemble de ces rapports
Les représentants et les médiateurs communautaires seront également concernés par ce travail d'articulation dépendant de l'activité intersectorielle.
Les équipes de secteur de psychiatrie générale.
Les instances diverses appelées à intervenir dans le champ de l'enfance (hôpitaux généraux, crèches, P.M.I., écoles, etc ... ), seront évidemment concernées par l'établissement de ces liaisons de travail.
Des dispositions inter-ministérielles viendraient à point nommé pour établir les conditions réelles d'une telle coordination.
IV - Le développement du travail en équipe
Il est évident que le changement en psychiatrie passe par :
- la rupture avec une orientation pénurique ;
- la reconversion de nombreux personnels ;
- le développement des moyens humains aptes à soutenir une telle mutation.
A cet égard, il importe de préciser l'importance de certaines caractéristiques du fonctionnement optimum d'une équipe de santé mentale, ainsi que les principaux axes de la formation nécessaire.
LE FONCTIONNEMENT DES ÉQUIPES



Chaque équipe doit être pluridisciplinaire, sans exclure la présence parfois très positive de moniteurs formés à des techniques d'animation non spécifiquement psychiatriques.
L'équipe, de dimension humaine, doit assurer la permanence de sa présence dans les lieux de soins ambulatoires et être en mesure d'accueillir et de répondre aux situations de détresse.
Elle élabore des projets sur un mode démocratique et participe à l'élection du ou des coordinateurs. Elle autogère et procède à l'évaluation de son fonctionnement et de ses activités.
Elle doit créer les conditions de sa formation, de l'implication de chacun de ses membres et d'une situation d'échanges actifs et efficaces.
LA FORMATION
La mutation envisagée en psychiatrie de l'enfant suppose un effort particulier et continu dans les domaines de
la formation initiale
la formation continue
la formation personnelle, sous l'angle notamment de situations d'intercontrôle.
Les contenus de la formation devront être orientés par :
des objectifs psychologiques ;
des objectifs psychosociologiques.
1. Formation psychologique
- au maniement des concepts et des structures relatifs au développement et à la souffrance psychique ;
- l'écoute et au partage des éprouvés subjectifs - à la relation, à l'expérience de la rencontre des situations et des problématiques psychiques graves ; - au déchiffrage du sens porté par les conduites et les symptômes des enfants ;
- à l'analyse du transfert et du contre-transfert ;
- au changement, à la mobilisation, à la capacité relationnelle de la personnalité du soignant ;
- à la tolérance et à la compréhension des conflits, de l'angoisse, des situations dépressives psychotiques,
- à la capacité de contrôler toutes les formes institutionnelles et personnelles de passage à l'acte, et d'analyser et de dialectiser les expériences vécues dans la relation avec les enfants.
2. Formation psycho-sociologique
à l'articulation des diverses situations d'intégration des enfants, notamment familiales ; à la lecture des expériences et des attitudes sociales à l'égard du fait psychosociologique ;
·        à l'épidémiologie ;
·        à la connaissance du déterminisme social des souffrances individuelles au contact et aux négociations avec les médiateurs sociaux ;
·        à l'animation d'un réseau d'accueil social ;
- à l'orientation et à l'insertion des enfants.
V - Une situation critique - le malaise et les troubles psychopathologiques des adolescents
A. LE MALAISE DES ADOLESCENTS ET LA RÉPONSE PSYCHIATRIQUE
L'approche de la souffrance des adolescents doit se garder de toute réduction :
- l'adolescence ne saurait être comprise en dehors de l'évolution du sujet depuis les premières années de sa vie (d'où l'intérêt d'une prévention depuis les difficultés précoces de l'enfant) ;
- l'adolescent ne doit pas être séparé des interactions qui s'établissent avec tout son environnement, familial, scolaire, professionnel, social ;
- l'adolescent est en quête intense d'identité, d'où le danger d'une psychiatrisation à priori de ses problèmes. Les soignants devraient s'écarter de toute ambiguïté de leur position thérapeutique et laisser toute leur place aux autres intervenants sociaux ;
- la demande personnelle de l'adolescent est difficilement élaborée, d'où la nécessité de diversifier les réponses, les structures et points d'accueil, de f acon à ne jamais dramatiser ou systématiser la réponse.
Les actions en faveur des adolescents doivent tenir compte de l'immédiateté du passage à l'acte et du besoin impérieux pour le jeune d'être reconnu en tant que personne. De la sorte, les équipes d'intersecteurs et de secteurs doivent s'organiser pour apporter des réponses :
a) dans l'instant : téléphoniques ou rencontres en urgence ;
b) diversifiées : suivant le type de demande, d'où la nécessité d'un éventail de solutions ;
c) ouvertes : afin de faciliter la prise de contact de sujets habitués à une grande mobilité ;
banalisées : les unes techniques, d'autres moins techniques dans leur forme, l'adolescent étant souvent opposé à une consultation en milieu psychiatrique ;
par une équipe bien au fait des problèmes de l'adolescent, ayant connaissance des différentes formules adaptées à leurs besoins ; une mini-équipe peut être plus spécialement concernée par ce travail ;
f) aux parents : qui cherchent l'écoute et le soutien ;
g) articulées avec les intervenants sociaux ;
h) articulées avec un réseau de bénévoles : pour permettre un accompagnement dans la vie concrète : loisirs, soutien dans la recherche et le maintien du travail, familles d'accueil ... ;
i) aux exigences de la recherche, qui doit obligatoirement accompagner l'action, afin de préciser les facteurs de déclenchement des troublés, permettre l'évaluation des réponses apportées.
La prise en charge à temps complet doit se faire dans de petites unités de 5 à 10 lits qui, pour des raisons à la fois thérapeutiques et financières, seront liées au Centre de santé mentale d'intersecteur. Le développement de centres de jour, de foyers, d'appartements thérapeutiques, de placements familiaux spécialisés, de structures intermédiaires, de communautés, permettra de réduire ces prises en charge à temps complet devant des urgences psychiatriques dépressives ou délirantes, ou des crises comportementales, traduction de conflits aigus avec l'environnement.
B. URGENCES
Pour répondre aux appels en urgence devant des malaises ou des troubles du comportement de l'adolescent, concevoir un type de réponse au seul niveau psychiatrique et de plus isolé, serait une erreur. Il est indispensable, en plus des réponses classiques (services sociaux, juge pour enfants, police ... ), de distinguer :
1) des Centres de crises pour adolescents non psychiatriques, au niveau de la communauté sociale, faisant participer largement des bénévoles pour que la réponse soit perçue par le jeune comme située au niveau de la question qu'il pose à l'environnement. Ils limitent le recours extensif à la psychiatrie.
2) des Unités psychiatriques de réponses en urgence aux besoins des adolescents.
Prêtes à assumer les cas indubitablement psychiatriques, elles doivent aussi s'adapter pour répondre aux prises en charge à un deuxième niveau de cas représentés par des comportements s'exprimant avant tout dans le champ social.
Elles ne doivent pas être conçues comme des structures isolées, pour des raisons de cohérence thérapeutique, de sécurité, de souplesse de fonctionnement, de responsabilité médicale, de coût financier.
Une telle unité doit être liée à l'ensemble des éléments de l'intersecteur. Ses responsables ont ainsi toute une palette de solutions articulées entre elles, leur donnant des moyens d'intervenir à tous les moments de l'urgence et de faire des choix adaptés à chaque cas :
- liens en amont, en particulier avec les intervenants sociaux et les Centres de crise
- prises en charge diversifiées : entretiens, hébergement de courte durée dans des appartements d'accueil en urgence, qu'il est important de créer afin d'éviter un enfermement trop rapide, une hospitalisation ;
- découverte de solutions en aval.
Dans tous ces temps, les responsables des urgences bénéficient de l'ensemble des apports techniques des membres de l'équipe de l'intersecteur et de son travail communautaire, en profitant de ses liens avec l'environnement ; ainsi est évité le morcellement des tâches et facilitée la recherche de solutions en commun.
Cette conception d'unité psychiatrique de réponses en urgence aux adolescents est la seule qui n'entraîne pas des coûts financiers prohibitifs pour leur fonctionnement.
C. PRATIQUE SECTORISÉE ET COORDINATION
L'exemple de la toxicomanie permet de mesurer, à partir de la pratique, les difficultés de l'aménagement d'une réponse psychiatrique hors de toute ambiguïté par rapport à l'exigence sociale, soutenue par une dimension préventive, et capable de se mouler sur la demande, dans les variations de son propre mouvement.
La toxicomanie est loin de recouvrir l'ensemble des problèmes susceptibles de mener la confrontation d'un jeune avec le soin.
Il importe certes que les mesures prises à l'égard de la toxicomanie très jeune soient reliées aux actions de santé mentale. Pour ce phénomène comme pour tout malaise psychique et relationnel de l'adolescent, il doit être tenu compte de l'originalité des perturbations mentales et des difficultés psychosociales propres à cet âge.
Il faut reconnaître qu'actuellement, les adolescents utilisent peu les structures de prévention ou de soins dévolues aux enfants ou aux adultes et ceci pour divers motifs, plus ou moins conjoints :
- on n'a pas aménagé les espaces particuliers qu'exige l'adolescence ;
- les jeunes sont généralement opposés à une consultation en milieu psychiatrique.
Pour remédier à cette situation, les principes suivants seront retenus :
1) Leur situation mal définie, mouvante, place les adolescents aux frontières du champ d'actîons ouvert d'un côté aux équipes d'intersecteur infanto-juvénile, d'un autre aux équipes de psychiatrie générale.
Il importe d'assurer une harmonisation entre ces deux versants du dispositif de santé mentale, en recherchant en même temps la participation des services, institutions, personnes qui, sans appartenir au secteur psychiatrique, sont concernés par ces problèmes et sont en mesure d'apporter une contribution utile, en particulier du côté de l'Éducation Nationale, des Clubs de prévention, etc..
2) Cette harmonisation doit éviter de subordonner les actions entreprises à un éclairage purement psychiatrique. Les membres des équipes de secteur seront au contraire appelés à intervenir à des niveaux variables, depuis celui de conseiller-consultant, jusqu'à celui de responsable d'une approche curative. Dans tous les cas, on tiendra le plus grand compte de la mobilité des adolescents et des aspects originaux de leurs réactions ou de leur psychopathologie. Une grande souplesse permettra seule d'appliquer des solutions qui ne doivent pas être ressenties comme contraignantes, ni pour l'adolescent, ni pour son entourage familial, ni par les diverses personnes appelées à collaborer sur le terrain.
3) Des différences de perspectives existent entre les intervenants sur le plan de l'approche médicale, de l'action sociale, de l'éducation ; ceci conduira les équipes psychiatriques à développer principalement des actions médicalisées à travers les établissements, les lieux que fréquentent normalement les adolescents. La prudence s'impose pour que la présence éventuelle d'un membre de l'équipe psychiatrique ne soit pas ressentie comme une intrusion et qu'elle réponde bien à une démarche née d'une collaboration ouverte.
4) Le soin psychiatrique conservera naturellement sa spécificité dans les institutions qui lui sont propres, mais il importe d'une part d'en réduire les indications au profit d'actions médiates, d'autre part d'en aménager l'application.
a) Au niveau même des consultations et des prises en charge ambulatoires plus ou moins continues, les réticences marquées des adolescents à pénétrer dans une institution spécialisée pour adultes ou pour enfants, obligeront à des aménagements :
création de consultations réservées aux adolescents dans des locaux comportant une entrée distincte ;
fonctionnement sur rendez-vous avec la possibilité de venir seul ou accompagné ;
séances d'information permettant l'accueil d'un sujet ou d'un groupe ;
respect éventuel de l'anonymat ;
maniement prudent des relations avec la famille, avec les adultes exerçant une responsabilité auprès du sujet ;
développement des contacts au sein de consultations ouvertes, à l'hôpital général, pour pathologie générale, contraception, grossesse, etc...
b) La création de lieux de soins doit être étudiée avec prudence et discernement ; il s'agit ici de fournir les moyens d'une cure intensive, mais sans aboutir à la mise en place d'institutions lourdes. Il serait souhaitable de ne pas dépasser une dizaine de places pour le territoire d'un intersecteur, et il serait bon de procéder par reconversion de partie d'un dispositif existant qui serait choisi, selon la meilleure opportunité, soit du côté des institutions pour adultes, soit du côté des établissements pour enfants.
L'ouverture en milieu urbain apparaît indispensable.
Les essais réalisés dans cette voie garderont un caractère expérimental et se feront seulement, dans un premier temps, sur les départements susceptibles de proposer les meilleures solutions matérielles.
c) Compte tenu de cet effort d'harmonisation et de mise en place des moyens indispensables, il convient de veiller particulièrement à la coordination des actions entreprises. A cet effet, sur le territoire correspondant à un intersecteur, il importe de favoriser la différenciation d'une équipe chargée d'ordonner la mise en place de ce dispositif sous la responsabilité d'un médecin appartenant, selon les cas, soit à l'intersecteur, soit à l'un des secteurs de psychiatrie générale. La tâche particulière confiée à cette équipe ne doit conduire ni à son autonomie, ni à l'isolement d'un secteur de l'adolescence ; bien au contraire, il s'agit ici de mieux articuler encore l'intersecteur de psychiatrie de l'enfant et le secteur de psychiatrie générale, tout en aménageant un espace original qui prenne véritablement en compte l'originalité des failles de l'adolescent.
IV - Pour de nouvelles dispositions
A. Confirmer la validité de la création d'un dispositif sectorisé de santé mentale infantile, lui donner la place qui doit être la même dans la prévention et la réalisation de soins ambulatoires et éventuellement institutionnels.
B. Développer la coordination des divers intervenants dans le champ de l'enfance, notamment avec les membres du réseau communautaire, les enseignants, les centres de P.M.I., pour favoriser le travail curatif et préventif précoce, sans sortir d'une vision d'ensemble des problèmes posés par la souffrance psychique de l'enfant, cette vision d'ensemble constituant la garantie essentielle d'une conception dynamique des réponses.
C. Cette coordination devra s'inscrire dans la permanence d'une concertation et d'une mise en commun à tous les niveaux. Au niveau ministériel, par des dispositions étudiées par les différents ministères concernés. Aux niveaux régional et départemental, sur le terrain.
D. Le développement des initiatives associatives, la création de centres ou de lieux d'accueil, ne doivent pas être à priori rejetés ou conduire à des exclusions mutuelles. Dès lors que l'on évitera la création anarchique d'établissements fonctionnant selon des critères périmés ou pour des tranches d'âges ou des catégories de problèmes étroitement délimités, les équipes de santé mentale peuvent aussi bien soutenir ces dispositifs que prendre appui sur eux. Il importe que l'équipe d'intersecteur soit alors assurée qu'elle peut faire reconnaître ce qui relève parfois de la pathologie mentale avérée, où son action est indispensable.
E. Les moyens nécessaires à la réalisation des objectifs sont avant tout humains : il importe de mettre en place, sur l'ensemble du territoire, les équipes de service public indispensables.
F. Du côté des institutions, il convient d'un côté d'éviter les textes contraignants générateurs de prototypes qui négligent l'originalité des situations locales. Cependant, le ministère de la Santé doit rappeler les exigences minimales en ce domaine. On a ébauché plus haut le relevé des moyens prioritaires, par exemple ceux fournis par l'hospitalisation de jour une réactualisation régulière s'impose en ce domaine, entre autres pour tenir compte actuellement de la valeur des actions institutionnelles à temps partiel. D'autres expériences originales méritent d'être soutenues lorsqu'elles sont réalisables à court terme, avec des moyens matériels réduits et en faisant appel aux supports mis en place dans la communauté. L'essentiel serait que ces expériences soient révisables et modulables en fonction des résultats observés.
G. Ces objectifs ne sont réalisables que si on met préalablement un terme au clivage entre malades et handicapés. A défaut, des équipes de santé mentale sont appelées à disparaître au profit du dispositif pour handicapés, avec les inconvénients majeurs qu'on a déjà évoqués. Déjà la situation est devenue intolérable en raison de la concurrence, du double emploi, qui opposent l'équipe de santé mentale et les institutions spécialisées mises en place par l'Éducation Nationale ou le ministère de la Solidarité. C'est dire que l'urgence principale réside dans une large concertation sur ce problème de fond, avec le souci d'aboutir, à court terme, à des solutions cohérentes et constructives.
les principes de l'action de formation et d'incitation à l'ensemble de ces mutations
Les incitations au changement
Elles constitueront les conditions d'une nouvelle logique de travail et d'appréhension des problèmes de la psychiatrie. Elles s'inscriront dans le cadre d'orientations fondamentales de la vie sociale en France, sous le signe de la solidarité, de la démocratie et du refus des inégalités.
Elles seront mises en oeuvre dans une continuité suffisante pour assurer effectivement le processus de changement et concerneront quatre domaines d'action :
les structures et les personnels ;
l'insertion et la restitution sociales ;
la coordination ministérielle ;
la promotion et le développement d'un grand débat national.
I - Les structures et les personnels
Le dépérissement des structures ségrégatives devra s'effectuer en fonction d'objectifs nettement énoncés. Il est possible d'envisager qu'aucun secteur psychiatrique ne dispose, dans trois ans, de plus d'un lit pour 1000 habitants et qu'en dix ans, les établissements psychiatriques lourds aient disparu.
L'enclavement des malades dans la chronicisation doit être résorbé ; il ne doit pas se poursuivre ou se reconstituer ailleurs.
Il faut pour cela réduire le nombre et la durée des séjours à temps plein ; réduire aussi l'énormité des établissements en déplacent, dans les lieux desservis, l'essentiel des moyens de soin, puis, dès que possible, leur totalité. Les hôpitaux généraux doivent être un des éléments déterminants dans ce mouvement.
L'hôpital actuel confisque et conserve la majorité des malades, accapare la quasi totalité des personnels de soin, consacre ainsi un éloignement des lieux et de la pratique de secteur. Le découpage des secteurs doit, dans tous les cas, représenter démographiquement un ensemble cohérent, et son organisation doit viser systématiquement à réunir sur place tous les moyens de travail nécessaires.
L'orientation nouvelle ne sera assurée qu'à la condition formelle que l'établissement hospitalier à séjours de plein temps ne conserve, sous aucune forme, la maîtrise de l'appareil de soin dans son ensemble.
L'organisation, la gestion, le financement, le statut et l'affectation des personnels, doivent constituer un ensemble unifié et solidaire, dont les lieux de séjour à plein temps ne seront qu'un élément parmi d'autres, non essentiel et sans poids déterminant.
La durée des séjours dans ces établissements à plein temps sera très précisément observée, et toute présence dépassant six mois devra faire l'objet d'examens soigneux et renouvelés.
Une telle perspective suppose que soit engagé un processus de déchronicisation active. A cet effet, les projets novateurs émanant des équipes psychiatriques s'appuyant sur la communauté et ses représentants, et se fondant sur l'intention d'atteindre un tel objectif, feront l'objet d'un soutien particulier et attentif.
Le dépassement de la situation à dominance hospitalière et ségrégative ne se fera pas sans nécessairement imposer les reconversions de certains personnels. A défaut d'une élaboration démocratiquement concertée des projets de changements et de l'établissement d'assurances et de mesures compensatoires concernant l'emploi et les statuts, cette évolution risquerait de donner l'apparence fallacieuse d'antagonismes d'intérêts entre les personnels et les personnes soignées.
Ainsi devront être nettement affirmés, pour accompagner le processus :
la garantie de l'emploi pour tous les personnels actuellement en service ;
les changements de statuts des diverses catégories soignantes et notamment du personnel infirmier, ouvrant à la reconnaissance effective de leur rôle majeur, de leur responsabilité technique et de l'importance de leur implication personnelle dans les entreprises de soins et d'accompagnement hors des situations ségrégatives ;
dans le même esprit, il conviendrait de reconnaître les changements acquis et le niveau de la qualification et du travail demandés, pour revaloriser les références indiciaires de l'ensemble du personnel concerné ;
des possibilités de reconversion de certains personnels intervenant dans les services généraux non soignants des établissements. Le dépérissement des structures lourdes diminuera, sans le supprimer, le champ de ces activités. Des facilités seront accordées pour promouvoir des cycles rapides de formation qui permettront à certains de ces personnels d'accéder à des fonctions saignantes, ainsi qu'à des statuts et à des rémunérations supérieurs ;
l'importance du travail d'équipe, introduisant, notamment pour tous les salariés, la reconnaissance de leur responsabilité collective dans la gestion du temps et des compétences qu'il implique.
La promotion de nouvelles pratiques rendra nécessaire la mise en place rapide de nouveaux modèles, répondant de façon plus adéquate aux besoins appelés par ces mutations.
Le lien entre formation et espace d'une pratique concrète d'équipe devra être plus étroitement établi.
Les programmes de formation devront plus largement être orientés vers :
- le développement de la capacité relationnelle et la préparation au travail personnel ou d'équipe sur le vécu émotionnel et subjectif du soignant ;
- la psychosociologie, à la lumière des travaux sociologiques modernes ;
- la relation avec les différents médiateurs et le réseau communautaire ;
- un apprentissage notionnel privilégiant une clinique nouvelle, substituant aux catégories descriptives, des catégories structurelles et dynamiques ;
- les pratiques d'accompagnement et de partage d'expériences.
II - L'insertion sociale
Elle est un élément majeur, la condition immédiatement indispensable du dépérissement des structures traditionnelles et des procédures d'exclusion. La voie française pour le changement de la psychiatrie refuse tout risque d'abandon des personnes qui souffrent, toute négligence de leurs besoins essentiels. L'institution ségrégative ne pourra être dépassée, si ne sont assurées des alternatives de vie et de participation sociale pour ses actuels ressortissants.
L'insertion sociale se développera d'autant plus vite qu'elle s'appuiera sur :
des formes d'intervention publiques, associatives et privées, dont il faut souligner ici l'importance et l'intérêt considérables ;
l'association, à son objectif, d'une mobilisation des comités d'établissements et des organisations syndicales des entreprises ;
l'implication active des municipalités et des bureaux d'aide sociale, ainsi que des institutions de tous ordres intervenant notamment dans la vie culturelle et économique communautaire.
Ainsi, un ensemble d'initiatives fondamentales doivent aider au mouvement de réinsertion :
L'élaboration de projets d'intégration scolaire ; complexes souvent mais d'une grande importance, ils doivent être conduits dans un travail d'équipe, réunissant notamment pédagogues et psychiatres, si l'on ne veut pas aller au devant d'échecs ou s'en tenir à des faire-semblants ou des faux-semblants.
Les structures dépendant de l'éducation spéciale devront être concernées par un processus de dépérissement parallèle à celui de la psychiatrie, puisqu'elles constituent de fait l'un des plus importants et des plus précoces circuits de la ségrégation... et de l'invalidation.
Un revenu social minimum, assurant la possibilité de vivre à tous les citoyens privés de ressources et en situation de détresse économique devra être institué, sans aucun caractère spécifique d'attribution pour les personnes concernées par la psychiatrie.
Dans le cas où l'insertion pour se maintenir appelle un recours financier particulier, des allocations supplémentaires pourront être proposées et attribuées dans le cadre d'institutions et de dispositions non spécifiques (bureaux d'aide sociale et organismes et prestations relevant des caisses d'allocations familiales) ;
L'aide au logement donnera lieu à des incitations particulières concernant des formes sociales et associatives. Des méthodes transitoires d'accompagnement permettant, au sortir des institutions, le réentraînement à l'autonomie, pourront être envisagées à partir, notamment, de la création de stages préparatoires à l'emploi tels qu'ils sont mis à l'essai par les dispositions du ministère de la Jeunesse et des Sports concernant les stages jeunes volontaires ;
L'alternative au placement en institution des isolés (vieillards, malades, handicapés, immigrés, etc) consiste à maintenir la disposition d'un domicile privé. Cela impose aux collectivités l'obligation permanente de conserver ou de procurer un habitat sans précarité ni ségrégation. Trop souvent, les rénovations ou des difficultés personnelles compliquant l'existence se soldent par des déracinements brutaux ou des expulsions sans ménagement.
La création et le maintien de tels lieux d'habitats, avec les aménagements appropriés et les mesures d'aide et d'assistance nécessaires sur place, doivent impliquer de façon active les collectivités locales et essentiellement les communes. Des mesures d'incitations doivent, dans les dix ans à venir, développer ces dispositions, seules alternatives effectives aux divers renfermements et aux diverses renfermeries.
L'aide à l'emploi sera stimulée par un ensemble de dispositions concrètes inspirées notamment par les projets et recommandations des ministères de la Solidarité Nationale et de la Fonction Publique :
insertion au travail dans la Fonction Publique d'une proportion précise de personnes considérées comme handicapées mentales ;
exemplarité à cet égard des entreprises nationales ;
abrogation des dispositions limitatives concernant le recrutement (article 1 6 de la Fonction Publique) ;
mesures d'allègement fiscal des entreprises consentant le recrutement de personnes sortant des structures ségrégatives ;
promotion des stages - formation - emploi pour les personnes sortant des hôpitaux psychiatriques et lieux assimilés ;
développement de la formation professionnelle, avec établissement de conventions avec le ministère de la Formation Professionnelle et, dans l'immédiat, transformation des C.A.T. et ateliers protégés en centres d'apprentissage.
mesures destinées à favoriser l'insertion dans les loisirs, la vie culturelle et les situations dynamiques de la communauté. La solitude est l'une des dimensions de l'exclusion. Une véritable insertion implique qu'au-delà des mesures économiques et matérielles intégratives, on attache constamment de l'importance à son évaluation et à sa résolution. A cet effet, il sera utile que les intéressés affirment leur participation propre dans les changements qui interviendront et qu'ils aient toute possibilité de se faire entendre et de participer à ces transformations.
III -La coordination ministérielle
Une instance du niveau gouvernemental devra être instituée dès la mise en oeuvre du processus de changement en psychiatrie. Elle pourra consister en un Comité de responsabilité interministérielle ou en un Secrétariat d'État ayant compétence d'intervention dans tous les domaines concernant l'exclusion des citoyens.
La mission nationale de cette instance sera de :
- coordonner les demandes et le dispositif de programmations souples et concertées visant au dépérissement des structures ségrégatives
- lier cette programmation à celle de la réduction des inéga tés ;
- entretenir de façon permanente une attention et une responsabîlité effectives des différents ministères concernés :
- les ministères de la Santé ; de la Solidarité Nationale ; de l'Éducation Nationale ; du Travail de la Formation Professionnelle ; des Finances ; du Plan de la Culture ; de l'Environnement ; de la Recherche ; de l'Intérieur
- le Secrétariat aux personnes âgées.
IV - La promotion et le développement d'un grand débat national
De telles initiatives doivent, pour assurer leur efficacité, être associées à un large débat qu'il conviendra de soutenir et de développer de façon durable. Les effets qu'on peut attendre à terme sont ceux :
- d'une mobilisation de potentiels non spécifiques de prise en charge des problèmes concernant l'insertion des personnes exclues
- d'une vigilance populaire à l'égard des discriminations ;
- d'un changement sans doute lent, mais nécessaire dans les images sociales et les mentalités.
Un débat d'une telle ampleur sera soutenu par :
- une information régulière utilisant de façon renouvelée les divers mass média ;
- des exposés et discussions publiques permanents.
Les Conseils de santé mentale, dont l'installation devrait être recommandée dès le mois de janvier 1983, auront comme premières responsabilités l'étude des programmations alternatives, les négociations locales appelant la mise en couvre des changements, ainsi que la promotion des concertations et des débats nécessaires.

Aucun commentaire: