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dimanche 28 novembre 2010

Analyse de la décision du Conseil Constitutionnel du 26/11/2010, sur l'hospitalisations sans consentement à la demande d'un tiers.

Voir lien: http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/root/bank/download/2010-71QPC-doc.pdf

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Les Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel Cahier n° 30
 Décision n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010
(Mlle Danielle S.)
Le Conseil d’État a renvoyé au Conseil constitutionnel, le 24 septembre 2010, une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur « les articles L. 326-3, L. 331, L. 333, L. 333-1, L. 333-2, L. 334, L. 337 et L. 351 du code de la santé publique désormais repris aux articles L. 3211-3, L. 3211-12, L. 3211-1, L. 3212-3, L. 3212-4, L. 3212-7 et L. 3222-1 du même code » et relative au régime d’hospitalisation sans consentement en général et à l’hospitalisation à la demande d’un tiers (HDT) en particulier.
Par sa décision n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution l’article L. 337 du code de la santé publique (CSP), désormais repris à son article L. 3212-7. Il a déclaré les autres articles soumis à son examen conformes à la Constitution tout en assortissant sa décision d’une réserve d’interprétation portant sur l’article L. 351 du CSP, désormais repris à l’article L. 3211-12.
I. – Questions de procédure
Le périmètre de la saisine du Conseil constitutionnel posait deux questions.
– Le Conseil constitutionnel était saisi d’articles du CSP qui ont été recodifiés1 puis modifiés entre leur mise en application dans l’affaire qui a donné lieu à la QPC et la date de l’examen de la QPC par le Conseil constitutionnel (sans modification de fond). Le Conseil d’État a visé, dans son renvoi, les deux numérotations. Suivant la solution qu’il avait retenue dans sa décision du 16 septembre 2010 sur le fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG)2, le Conseil constitutionnel a estimé devoir faire porter l’examen de la constitutionnalité sur les dispositions qui lui sont soumises dans leur rédaction applicable au litige, c'est-à-dire antérieure à la codification (cons. 1). Il a néanmoins repris, dans le dispositif de la décision, une formulation consistant à mentionner l’ancienne numérotation et la nouvelle. Ce qui a été jugé pour l’ancienne numérotation est donc valable pour la nouvelle.
1 Ordonnance n° 2000-548 du 15 juin 2000 relative à la partie législative du code de la santé publique.
2 Décision n° 2010-25 QPC du 16 septembre 2010, M. Jean-Victor C., cons. 1.2
– Dans ses observations, la requérante demandait au Conseil constitutionnel d’étendre sa saisine aux dispositions du CSP relatives à l’hospitalisation d’office (HO). Sans contester que le litige à l’origine de la présente QPC porte sur une procédure d’HDT, elle faisait valoir, d’une part, qu’elle avait également fait l’objet, par ailleurs, de mesures d’HO et, d’autre part, que l’inconstitutionnalité des dispositions relatives à l’HDT emportait nécessairement celle des dispositions relatives à l’HO.
Le Conseil a toutefois rappelé qu’il est lié par les dispositions que le Conseil d’État a décidé de lui renvoyer en appréciant souverainement leur applicabilité au litige3. Il a donc écarté la demande faite en ce sens (cons. 11 et 12).
3 Décision n° 2010-1 QPC du 28 mai 2010, Consorts L. (Cristallisation des pensions), cons. 6.
4 Loi n° 90-527 du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d’hospitalisation.
5 Selon Gladys Swain, le mot est véritablement admis à partir de 1848 (in Le sujet de la folie : naissance de la psychiatrie, Calmann-Lévy, 1997).
6 Journal des débats, 8 avril 1837.
7 Jan Goldstein, Consoler et classifier, l’essor de la psychiatrie française, Le Plessis-Robinson, Institut Synthélabo, 1997, p. 360.
II. Origine et présentation des dispositions contestées
A. – Histoire de l’hospitalisation sans consentement
La loi du 27 juin 19904, dite « loi Evin », dont sont issues les dispositions contestées, est venue remplacer la loi du 30 juin 1838 sur les aliénés, dite « loi Esquirol ». Cette première loi, à la longévité exceptionnelle, était le résultat d’une rencontre entre un projet politique, issu de l’idéologie doctrinaire, et l’essor de la médecine aliéniste, qui commence alors à s’appeler « psychiatrie »5. D’un côté, le projet était de faire « une loi de philanthropie et de police générale »6, parce que, comme l’expose en 1837 Adrien-Estienne de Gasparin, ministre de l’intérieur, dans son Rapport au Roi sur les hôpitaux, les hospices et les services de bienfaisance, il faut « venir au secours du malheur, soulager la plus affligeante des infirmités humaines » et « préserver la société des désordres que ces malades peuvent commettre »7. D’un autre côté, furent posées les bases d’un système asilaire inspiré des théories d’Esquirol, notamment par des adjonctions apportées à la Chambre des députés en cours de discussion afin d’imposer aux départements de disposer d’un établissement pour recevoir et soigner les aliénés (quarante-huit départements sur quatre-vingt-six en étaient alors dépourvus).
S’agissant des conditions de placement, la loi de 1838 a supprimé la condition d’interdiction judiciaire préalable et a confié le pouvoir d’interner d’office au 3
préfet. La loi distinguait entre le placement dit « volontaire » des aliénés (en fait, à la demande des familles) et le placement dit « d’office » décidé par arrêté préfectoral lorsque « est menacé l’ordre public ou la sûreté des personnes ».
Jusqu’à la loi du 27 juin 1990, cette loi fut peu modifiée : la loi du 3 janvier 1968 sur les tutelles8 retira aux établissements l’administration provisoire des biens des personnes internées. La loi « sécurité liberté » du 2 février 19819 ouvrit la possibilité aux malades de saisir le président du tribunal en la forme des référés et leur reconnut une liste de droits, dans une logique assez libérale.
8 Loi n° 68-5 du 3 janvier 1968 portant réforme du droit des incapables majeurs.
9 Loi n° 81-82 du 2 février 1981 renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes.
10 H. Strohl, Rapport n° 97081 du groupe national d’évaluation de la loi du 27 juin 1990, septembre 1997.
B. – La loi du 27 juin 1990
Outre la reconnaissance et l’organisation de l’hospitalisation libre, la loi du 27 juin 1990 a repris le principe de deux procédures distinctes d’hospitalisation sous contrainte : l’HDT et l’HO. La première a remplacé le « placement volontaire ». Elle constitue une mesure d’hospitalisation pour nécessité médicale de la personne atteinte de troubles mentaux. La seconde a remplacé le placement d’office. Elle est motivée par la sécurité des personnes et l’ordre public et demeure ordonnée par le préfet, ou, dans certains cas de péril imminent, le maire.
La loi a, en outre, affirmé le respect des droits de la personne hospitalisée et énoncé un principe de « rigueur nécessaire » selon lequel les restrictions apportées à l’exercice des libertés individuelles du malade hospitalisé sans son consentement doivent être limitées à celles nécessitées par son état de santé et la mise en oeuvre de son traitement.
La loi a, enfin, organisé le contrôle des établissements accueillant des malades hospitalisés sans leur consentement, non seulement par l’autorité judiciaire, mais également par une commission pluridisciplinaire départementale (la commission départementale de l’hospitalisation psychiatrique, CDHP ou « Codhopsy »).
C. – Évaluation et tentatives de réforme
L’article 4 de la loi du 27 juin 1990 prévoyait une évaluation avant un délai de cinq ans. Cette évaluation a été réalisée par le rapport dit « Strohl »10 du nom de la présidente du groupe d’évaluation. Déposé en septembre 1997, le rapport soulignait certaines inadaptations de la loi à l’évolution des besoins de la 4 ). Toutefois, la réforme d’ensemble préconisée n’a pas été engagée. 5
D. – Données statistiques
La loi du 27 juin 1990 n’a pas limité ou réduit le nombre des hospitalisations sans consentement (HSC). Au contraire, leur nombre a presque doublé en 1990 et 2005. Le nombre des HDT, en particulier, a fortement augmenté jusqu’au début des années 2000.
L’étude d’impact du projet de loi précité donne une série de données statistiques précises sur le recours à l’hospitalisation sans consentement. En 2007 et 2008, 69 000 personnes environ ont été hospitalisées sans leur consentement au moins une fois dans l’année. Cela représente 23 % de l’ensemble des personnes prises en charge en hospitalisation complète et 18 % des journées d’hospitalisation complète en psychiatrie en 2008.
Les HDT sont à 48 % prononcées selon la procédure d’urgence. S’agissant des HO, la part des mesures ordonnées à la suite d’une mesure provisoire du maire ou, à Paris, du préfet de police, s’élève à 68 %.
Le nombre des HDT a connu une croissance constante jusqu’en 2003. Il décroît depuis. Il n’est pas exclu que la décision du Conseil d’État du 3 décembre 2003 (voir infra) ait contribué à ce reflux.
La durée moyenne de séjour en psychiatrie est passée de 86 jours en 1989 à 45 jours en 2000. L’enquête réalisée par l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) en 2003 dans trois régions (Lorraine, Aquitaine, Rhône-Alpes) montrait que la durée moyenne de séjour pour les personnes en HDT était de 60 jours, pour les personnes en HO de 95 jours et pour les personnes en hospitalisation libre de 52 jours. Cette enquête soulignait également les très grandes disparités statistiques d’un département à l’autre qui semblent montrer le rôle prépondérant que jouent, en la matière, la pratique et la démographie médicales et le développement d’une psychiatrie de secteur.
En cours d’instruction, des éléments complémentaires ont été sollicités par le Conseil constitutionnel des services du Premier ministre et communiqués à l’ensemble des parties. La réponse du secrétariat général du Gouvernement faisait apparaître en particulier que, pour 2009, la durée moyenne est de 49 jours en HDT et de 82 jours en HO, alors que la durée médiane est de 19 jours en HDT et de 28 jours en HO.6
III. La constitutionnalité des dispositions contestées
A. Les griefs
Le Conseil d’État a saisi le Conseil constitutionnel en retenant comme sérieux le grief tiré de ce que les dispositions contestées n’assurent pas une protection suffisante de la liberté individuelle et, notamment, de sa protection par l’autorité judiciaire.
Au-delà de ce grief, l’argumentation de la requérante mettait en cause trois séries de dispositions :
– les dispositions propres à l’HDT (articles L. 333, L. 333-1, L. 333-2, L. 334 et L. 337 du CSP) ;
– les dispositions générales relatives aux droits des personnes hospitalisées sans leur consentement (articles L. 326-3 et L. 351 du CSP) ;
– les dispositions relatives aux établissements habilités à soigner les malades mentaux, en tant qu’elles permettent l’hospitalisation sans consentement dans des établissements privés (article L. 331 du CSP). Le dernier grief consistant à remettre en cause la faculté d’un directeur d’établissement privé de prononcer l’admission dans le cadre de l’HDT et l’insuffisance alléguée des garanties entourant l’exercice de cette compétence, il a été examiné par le Conseil en même temps que les dispositions relatives à cette procédure d’HSC.
B. L’encadrement des conditions d’HDT
1. – Les normes constitutionnelles applicables
La décision n° 2010-71 QPC est la première décision rendue par le Conseil constitutionnel sur une procédure d’hospitalisation sans consentement. Le Conseil a donc, en premier lieu, précisé le cadre constitutionnel applicable.
Il a tout d’abord rappelé les dispositions du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 relative au droit à la protection de la santé qui fixe non seulement un objectif de santé publique16 et un motif d’intérêt général donnant compétence au législateur pour limiter, le cas échéant, d’autres droits et libertés
16 Décision n° 90-287 DC du 16 janvier 1991, Loi portant dispositions relatives à la santé publique et aux assurances sociales, cons. 23 et 24. 7 mais également une exigence constitutionnelle relative à la protection de la santé. Le Conseil a en outre rappelé la compétence du législateur, en application de l’article 34 de la Constitution, pour fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques dès lors qu’il ne prive pas de garanties légales des exigences constitutionnelles. 8
– la nécessité de l’hospitalisation est confirmée par un psychiatre de l’établissement d’accueil dans les vingt-quatre heures de l’admission.
Ainsi, le dispositif choisi par le législateur pour le placement en HDT fait intervenir quatre acteurs : un tiers, deux médecins (un seul en cas de « péril imminent »), dont l’un est étranger à l’établissement, et le directeur de l’établissement.
Par un arrêt du 3 décembre 200320, le Conseil d’État a exigé que le tiers, à défaut de pouvoir faire état du lien de parenté avec le malade, justifie de l’existence de relations antérieures à la demande lui donnant qualité pour agir dans l’intérêt de celui-ci. Cette décision a mis un coup d’arrêt aux pratiques consistant à ce que la demande d’HDT soit signée par le directeur ou le chef de service de l’hôpital dans lequel la personne a été admise au service des urgences et ce, aux fins de son admission dans un centre hospitalier spécialisé (CHS). Cet arrêt a posé la difficulté, pour les services sociaux et le service d’intervention d’urgence, de « trouver un tiers » qui accepte de signer la demande, mais il a assurément rétabli la portée effective de la garantie que représente l’exigence de demande d’un tiers. Le Conseil a, en énumérant les garanties apportées par l’article L. 333 du CSP, repris les termes de cette jurisprudence du Conseil d’État.
20 CE, 3 décembre 2003, CHS de Caen, n° 244867.
Au vu de l’ensemble de ces garanties, le Conseil constitutionnel a estimé que les conditions dans lesquelles une HDT peut être prononcée sont définies en des termes qui assurent le respect des principes de nécessité et d’adéquation et sont assorties d’un niveau de garanties qui asurent la proportionnalité de la mesure.
3. – La question des établissements privés
L’argumentation de la requérante, qui avait fait l’objet d’une admission dans un établissement mutualiste, dénonçait en particulier l’article L. 331, devenu l’article L. 3222-1 du CSP, qui prévoit que, dans chaque département, le préfet (désormais le directeur de l’agence régionale de santé – ARS) désigne un ou plusieurs établissement chargés d’accueillir et de soigner les personnes atteintes de troubles mentaux.
Deux griefs sont soulevés. Un grief d’incompétence négative tiré de l’absence de tout encadrement des conditions dans lesquelles des personnes de droit privé peuvent accomplir une telle mission de service public et une critique plus précisément dirigée contre la compétence reconnue au directeur de l’établissement privé pour prendre une décision d’admission en HDT. 9
La question de la place des établissements privés dans le dispositif asilaire avait donné lieu à des débats dès la loi de 1838. S’opposaient en effet, d’une part, la reconnaissance d’une tradition religieuse attentive au sort des insensés, aliénés pauvres et indigents, tradition que confortait la méfiance pour le centralisme étatique qui aurait résulté d’une exclusion des établissements privés et, d’autre part, l’émergence d’un certain anticléricalisme politique ainsi que l’aspiration scientifique de la psychiatrie moderne à s’émanciper de la tutelle religieuse. L’article 1er de la loi de 1838 traduit un compromis en imposant que chaque département dispose d’ « un établissement public spécialement destiné à recevoir et à soigner les aliénés ou, de traiter, à cet effet, avec un établissement public ou privé, soit de ce département, soit d’un autre département ». En 1842, une trentaine d’établissements avaient désigné un établissement religieux.
Aujourd’hui, le nombre d’établissements de médecine psychiatrique non publics est important : la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne, qui représente le secteur associatif, revendique cent seize établissements adhérents et 13 % de l’offre de soins. La Fédération de l’hospitalisation privée déclare représenter cent quarante cliniques psychiatriques et assurer 20 % de l’hospitalisation psychiatrique.
On ne sait toutefois pas combien d’établissements sont habilités pour accueillir des personnes admises sans leur consentement. La possibilité pour les établissements privés d’accueillir des personnes en HDT n’est pas réservée aux établissements participant au service public hospitalier. Lors de la réforme de la loi de 1990, un amendement de suppression d’une telle faculté avait été présenté. Le ministre de la santé avait opposé que cinq établissements étaient alors encore concernés. L’amendement avait été rejeté21. En revanche, l’article L. 336 du CSP a prévu qu’en cas d’admission en HDT dans un établissement ne participant pas au service public hospitalier, le préfet désigne deux psychiatres pour visiter la personne et faire un rapport. L’article L. 336 est devenu l’article L. 3212-6. Le Conseil n’en a pas été saisi dans le cadre de la QPC n° 2010-71.
21 Sénat, séance du 18 avril 1990, JO Débats, p. 387.
22 Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST).
Le régime applicable aux établissements privés participant au service public hospitalier a été remplacé, depuis la loi du 21 juillet 200922 , par un régime d’accomplissement de missions de service public par des établissements privés. Il fait figurer la prise en charge des personnes hospitalisées sans leur consentement parmi les missions de service public que des établissements privés peuvent accomplir. Ainsi, le 11° de l’article L. 6112-1 du CSP énonce parmi les 10
14 missions de service public « la prise en charge des personnes hospitalisées sans leur consentement ».
Dans sa décision du 26 novembre 2010, le Conseil constitutionnel a d’abord jugé qu’aucune règle ni aucun principe constitutionnel ne s’oppose à ce que la mission d’accueillir des personnes hospitalisées sans leur consentement soit confiée à des établissements privés. Cette mission de santé publique ne peut être assimilée à la mission de surveillance pénitentiaire ou la mission de surveillance des personnes en rétention lors de leur transport pour lesquelles le Conseil constitutionnel a jugé que l’exercice de missions de souveraineté était en cause de sorte qu’elles ne pouvaient être déléguées à des personnes privées23.
23 Décisions n° 2002-461 DC du 29 août 2002, Loi d’orientation et de programmation pour la justice, cons. 8, et n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003, Loi relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, cons. 89 et 90.
En outre, le Conseil a jugé que, dès lors qu’ils accueillent des malades mentaux, ces établissements sont soumis aux règles qui imposent les visites régulières des autorités judiciaires et administratives et le contrôle par la CDHP, tout comme les établissements publics. La procédure d’admission est également la même. Le Conseil a donc rejeté le grief tiré de ce que la loi n’encadrait pas suffisamment la procédure d’admission en HDT dans un établissement privé.
3. – Le rôle de l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle
La requérante soutenait que l’article 66 de la Constitution exige la judiciarisation de l’hospitalisation sans consentement.
a) la décision initiale
Le débat de la judiciarisation de l’hospitalisation sans consentement remonte à la loi de 1838 qui a permis que la décision d’admission soit décidée par l’administration et non plus par le juge. On rapporte que, lors du vote à la Chambre, les 47 voix contre étaient motivées par cette seule question qui occasionna une diatribe du député de la Vendée, François-André Isambert, conseiller à la Cour de cassation : « Le grand principe de la séparation des pouvoirs, les limites jusqu’à présent tracées entre la police administrative et judiciaire, l’immense sécurité que les citoyens retirent de la conviction où ils sont que nul agent du gouvernement n’a de pouvoir direct ou indirect sur leurs personnes, que leur liberté et leur honneur sont exclusivement placés sous la protection de magistrats inamovibles, étranges aux aspirations de la 11 12
administrative), la personne ne peut être retenue contre sa volonté que par décision judiciaire.
En effet, dans sa décision du 9 janvier 1980, le Conseil constitutionnel avait censuré des dispositions qui reportaient au septième jour l’intervention judiciaire pour les étrangers retenus. Le Conseil avait jugé : « Considérant, toutefois, que la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible ; que, s’il en est ainsi dans le cas prévu à l’article 3 de la loi qui subordonne à la décision du juge le maintien, au-delà de quarante-huit heures, de l’intéressé dans les locaux où il est retenu, il n’en va pas de même dans le cas prévu à l’article 6 de la loi dès lors que, dans cette dernière éventualité, l’intervention du juge n’est déclarée nécessaire que pour prolonger, au-delà de sept jours, le régime de détention auquel l’étranger est soumis ; qu’ainsi, du fait qu’il prévoit que la personne expulsée, en application des dispositions du 1 au 4 dudit article 23, peut être maintenue en détention pendant sept jours sans qu’un juge ait à intervenir, de plein droit ou à la demande de l’intéressé, le sixième alinéa de l’article 23 de l’ordonnance du 2 novembre 1945, tel qu’il résulte de l’article 6 de la loi soumise au Conseil constitutionnel, n’est pas conforme à la constitution. »26 Cette décision a donné le « la » de la jurisprudence constitutionnelle en matière de protection de la liberté individuelle par l’autorité judiciaire. On en retrouve les échos dans la décision du 30 juillet 2010 sur la garde à vue qui retient également ce délai de quarante-huit heures27.
26 Décision n° 79-109 DC du 9 janvier 1980, Loi relative à la prévention de l’immigration clandestine et portant modification de l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour en France des étrangers et portant création de l’office national d’immigration, cons. 4.
27 Décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010, M. Daniel W. et autres (garde à vue), cons. 26.
S’agissant des malades mentaux, une telle exigence n’est pas respectée par l’état du droit. Certes, la liberté de saisir le juge leur est reconnue. Il est toutefois paradoxal que ce soit ceux dont les facultés sont altérées dans des conditions qui peuvent faire obstacle à ce qu’elles puissent exercer effectivement le droit de recours au juge qui soient, en France, les seules personnes pour qui la privation de liberté n’est pas soumise à un contrôle systématique de l’autorité judiciaire mais n’est soumise à ce contrôle qu’au prix d’un acte de leur part qui, au demeurant, les contraint à manifester leur défiance envers ceux qui les soignent.
Certes, d’une part, le CSP confie à l’autorité judiciaire (juge d’instance, président du tribunal de grande instance, procureur de la République) la mission de visiter les établissements qui accueillent des personnes hospitalisées sans leur consentement (article L. 3222-4 du CSP). Il s’agit là toutefois d’une mission de veille générale, comparable à celle qui pèse sur les parquets pour la visite des 13
lieux de garde à vue. Elle ne dispense pas d’un contrôle particulier des mesures d’hospitalisation sous contrainte. D’autre part, l’article L. 3212-5 prévoit que toute décision d’HDT est notifiée dans les trois jours au procureur de la République, mais il s’agit d’un simple avis qui n’appelle pas de suite systématique et ne permet aucunement un débat contradictoire sur la nécessité de la mesure.
La loi du 27 juin 1990 a confié la protection de la liberté individuelle à une commission administrative, la CDHP. L’article L. 332-3 du CSP, devenu l’article L. 3222-5, énonce en effet : « Sans préjudice des dispositions de l’article L. 3222-4, dans chaque département une commission départementale des hospitalisations psychiatriques est chargée d’examiner la situation des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux au regard du respect des libertés individuelles et de la dignité des personnes. » Ces commissions ont été réformées par la loi du 4 mars 2002 précitée, dont le défaut de mise en oeuvre a dû occasionner une nouvelle intervention législative par la loi du 9 août 2004 sur la politique de santé publique28 et, enfin, un décret d’application tardif29.
28 Loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique, article 158.
29 Décret n° 2006-904 du 19 juillet 2006 relatif à la commission départementale des hospitalisations psychiatriques et modifiant le code de la santé publique.
30 Décision n° 2008-562 DC du 21 février 2008, Loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, cons. 32 à 34.
La CDHP a des pouvoirs étendus énoncés à l’article L. 3223-1 du CSP. Il s’agit d’un pouvoir de surveillance générale qui peut conduire à des examens particuliers : le 3° de cet article indique qu’elle n’examine obligatoirement la situation individuelle que des personnes hospitalisées sans leur consentement depuis plus de 3 mois. Il s’agit toutefois de commissions administratives à qui la loi ne peut valablement confier la protection de la liberté individuelle au sens de l’article 66 de la Constitution30.
Le Conseil a par conséquent jugé que le maintien, sans intervention d’une juridiction de l’ordre judiciaire, de la privation de liberté au-delà d’un certain délai d’hospitalisation sans consentement méconnaît la portée de l’article 66 de la Constitution. Dans une telle hypothèse, se pose la question du délai à compter duquel une intervention de l’autorité judiciaire est exigée. Le Conseil constitutionnel a estimé que le délai de quarante-huit heures imposé par le Conseil constitutionnel en matière de rétention administrative ou de garde à vue n’est pas transposable à l’hospitalisation sans consentement.
Il est en effet nécessaire de prendre en compte la spécificité de la problématique médicale : l’analyse juridique de la relation du patient au malade, même dans le cadre de l’HSC, ne peut être comparée à la relation qui existe entre 14
l’administration et l’étranger en situation irrégulière ou entre l’officier de police judiciaire et le suspect.
Il a toutefois estimé que la possibilité d’une prolongation de l’hospitalisation au-delà de quinze jours sur la base d’un simple certificat médical méconnaissait la portée de l’article 66 de la Constitution. Il a donc déclaré contraire à la Constitution l’article 337 du CSP (devenu L. 3212-7). Le Conseil n’a pas défini dans sa décision les modalités de l’intervention de la juridiction de l’ordre judiciaire exigée par sa décision. La définition de ces modalités relève de la compétence du législateur à qui il appartient de fixer les règles les plus adaptés à la situation des malades et à l’examen de la question de la nécessité de l’hospitalisation (composition de la juridiction de l’ordre judiciaire compétente, modalités procédurales particulières…). Le Conseil a seulement exigé que l’hospitalisation sur demande d’un tiers ne puisse se poursuivre sans une intervention systématique de cette juridiction.
Comme il l’avait fait à propos de la garde à vue31 ou de la rétention douanière32 et pour des motifs comparables, le Conseil constitutionnel a toutefois décidé, en application de l’article 62 de la Constitution, de reporter au 1er août 2011 la date de l’abrogation de cette disposition afin de permettre au législateur d’adopter des dispositions nouvelles.
31 Décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010, précitée.
32 Décision n° 2010-32 QPC du 22 septembre 2010, M. Samir M. et autres (retenue douanière).
33 Décision n° 2009-593 DC du 19 novembre 2009, Loi pénitentiaire, cons. 3.
C. Les garanties dont bénéficie une personne en HSC
1. – La dignité de la personne
L’argumentation de la requérante est, dans une large part, fondée sur l’ineffectivité ou la méconnaissance des droits reconnus à la personne hospitalisée sans son consentement et sur l’atteinte à la dignité de la personne qui résulte de cette méconnaissance.
Sur ce point, le Conseil a répondu à la question du respect des droits d’une personne hospitalisée de la même façon qu’il a examiné la situation des personnes gardées à vue.
Il a d’abord rappelé la portée constitutionnelle du principe de dignité de la personne selon les termes retenus depuis la décision du 19 novembre 2009 sur la loi pénitentiaire33 . Il a ensuite repris, en l’adaptant, le raisonnement du considérant 20 de la décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010 sur la garde 15
à vue : l’article L. 326-3 du CSP pose les fondements d’un traitement des personnes hospitalisées sans leur consentement dans le respect de leur dignité et de leurs droits. Le CSP confie aux professionnels de santé et à de nombreuses autorités administratives et judiciaires le soin de veiller, dans le cadre de leurs compétences respectives, au respect de la dignité de la personne. La loi prévoit également la répression des éventuels manquements à ce principe. La méconnaissance éventuelle de ces exigences dans l’application de ces dispositions n’a pas pour effet de l’entacher d’inconstitutionnalité.
2. – Les autres droits d’une personne en HSC
La requérante estimait que l’article L. 326-3 du CSP, qui énumère les droits d’une personne hospitalisée sans son consentement, est inconstitutionnel en ce que, d’une part, il ne reconnaît pas le droit de refuser les soins et, d’autre part, il ne garantit pas le droit de téléphoner.
La requérante soulignait que le paragraphe IV de l’article 71 de la loi du 2 février 1981, dite « sécurité-liberté »34, avait inséré dans le CSP un article L. 353-2 qui reconnaissait au patients hospitalisés sans leur consentement certains droits et notamment le droit de recevoir des communications téléphoniques et le droit de refuser tout traitement. Ces droits ont été supprimés par la loi du 27 juin 1990.
34 Loi n°81-82 du 2 février 1981 renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes.
L’article L. 326-3 du CSP énonce, d’une part, un principe de nécessité de toute restriction des droits d’une personne hospitalisée sans son consentement et, d’autre part, énumère une liste précise de droits qui doivent être garantis « en tout état de cause ». Le patient a toujours le droit de saisir la CDHP, de prendre conseil auprès d’un avocat, de consulter le règlement intérieur de l’établissement ou de communiquer avec le procureur, le président du tribunal de grande instance, le préfet et le maire.
Tenant compte des difficultés pouvant être rencontrées par la personne atteinte de troubles mentaux pour assurer elle-même l’exercice des droits mentionnés au paragraphe précédent, le législateur a ouvert cette faculté aux parents du malade et plus généralement à toute personne susceptible d’agir dans son intérêt.
Par ailleurs, lorsque la personne internée sans son consentement ne bénéficie pas d’une mesure de protection civile, le tribunal, saisi par l’intéressé, par toute personne agissant dans son intérêt ou par le procureur de la République, peut désigner un curateur à la personne du malade, chargé de veiller à ce qu’il soit rendu au libre exercice de la totalité de ses droits aussitôt que son état le permet. 16
L’absence de reconnaissance du droit de recevoir des communications téléphoniques et du droit de refuser tout traitement porte-elle atteinte à des droits constitutionnellement garantis ? S’agissant du droit de téléphoner, l’article L. 326-3 reconnaît « en tout état de cause » le droit d’émettre ou de recevoir des courriers. Le droit de téléphoner, en ce qu’il n’est pas visé par l’article incriminé, est donc soumis au principe général de rigueur nécessaire rappelé ci-dessus : le droit de téléphoner ne peut être refusé qu’en raison de l’état du malade. Le Conseil a jugé qu’il n’y avait pas là d’atteinte disproportionnée à une liberté constitutionnellement protégée.
S’agissant du droit de refuser tout traitement, il pose une difficulté délicate, mais qui touche à la nature même de l’hospitalisation psychiatrique.
Le droit de refuser un traitement est liée à l’autonomie de la volonté. Le droit fondamental du patient de consentir au traitement et l’interdiction corrélative de pratiquer un traitement ou un acte médical sans le consentement libre et éclairé du malade est reconnu de façon claire par l’article L. 1, B du CSP (repris, avec des dispositions qui en renforcent la portée, à l’article L. 1111-4 du CSP). Ce droit a d’ailleurs été notamment renforcé par l’article 3 de la loi du 22 avril 2005 sur la fin de vie, dite « loi Léonetti »35.
35 Loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, article 3.
36 CSP, article R. 4127-36.
La philosophie de la loi de 1990 repose sur un lien indissociable entre l’hospitalisation et le soin. La Constitution implique-t-elle de dissocier l’une et l’autre et de prévoir que la personne hospitalisée peut néanmoins refuser tout soin et être ainsi maintenue en état de privation de liberté sans être soignée ? Le Conseil constitutionnel a estimé que compte tenu des conditions dans lesquelles l’hospitalisation sans consentement est possible, qu’il s’agisse de l’HDT ou de l’HO, le législateur avait procédé à une conciliation entre, d’une part, la protection de la santé et la protection de l’ordre public et, d’autre part, les libertés constitutionnellement garanties, qui n’est pas manifestement disproportionnée. Il a notamment rappelé que les garanties encadrant l’hospitalisation sans consentement permettent que l’avis de la personne soit pris en considération. Il a fait implicitement référence, ce faisant, d’une part, au 3° de l’article L. 326-3 du CSP qui permet à la personne hospitalisée sans son consentement de prendre conseil d’un médecin de son choix et, d’autre part, aux règles de la déontologie médicale qui imposent que dans tous les cas, le consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherché36 Le Conseil a ainsi confirmé le caractère restreint de son contrôle lorsque le législateur procède à la conciliation d’exigences constitutionnelles antagonistes. 17
3. – Le droit à un recours juridictionnel effectif
Les griefs de la requérante se divisaient en trois branches : elle dénonçait le défaut d’information du malade sur sa situation et ses droits, les effets de la dualité des ordres de juridiction sur l’accès au juge et, enfin, l’ineffectivité de l’article L. 351 du CSP.
S’agissant de la première branche du grief, elle manquait en fait puisque le deuxième alinéa de l’article L. 326-3 garantit le droit de toute personne hospitalisée sans son consentement à être informée de sa situation juridique et de ses droits non seulement dès l’admission, mais également par la suite à sa demande. Ce même article garantit le droit de prendre conseil d’un avocat.
a) La dualité des ordres de juridiction
Si, en vertu de l’article L. 351 du CSP, devenu L. 3211-12, le juge judiciaire est compétent pour statuer sur la nécessité du maintien de l’HSC, la décision elle-même, décision administrative, relève de la compétence de la juridiction administrative.
Lorsqu’elle entend demander l’annulation de la décision administrative ayant conduit à une hospitalisation sous contrainte, la personne concernée doit exercer un recours contentieux devant la juridiction administrative. Le juge administratif est alors compétent pour examiner la régularité de la procédure et de l’acte.
Le juge administratif n’est en revanche pas compétent pour se prononcer sur l’indemnisation du préjudice subi à raison de l’irrégularité de la procédure ou du caractère abusif de l’internement37. Le pouvoir de statuer sur ces demandes de réparation appartient au juge judiciaire. Ces recours en indemnisation obéissent au droit commun de la procédure devant un TGI : assignation, représentation par avocat obligatoire, procédure écrite.
37 Tribunal des conflits, 17 février 1997, n° 03045, CE, 1er avril 2005, n°264627.
Jusque récemment, on présentait donc le chemin procédural du malade mental hospitalisé sans son consentement en trois étapes : un recours au juge judiciaire pour demander la sortie immédiate ; un recours au juge administratif pour l’annulation de la décision de placement ; de nouveau un recours devant le juge judiciaire pour obtenir la réparation du préjudice subi. Cet état du droit fait 18 . Il a pu conduire à des applications qui, compte tenu de leurs circonstances en l’espèce, ont été mises en cause tout récemment par la Cour européenne des droits de l’homme. 19
« 16. Considérant cependant que, dans la mise en oeuvre de ce principe, lorsque l’application d’une législation ou d’une réglementation spécifique pourrait engendrer des contestations contentieuses diverses qui se répartiraient, selon les règles habituelles de compétence, entre la juridiction administrative et la juridiction judiciaire, il est loisible au législateur, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, d’unifier les règles de compétence juridictionnelle au sein de l’ordre juridictionnel principalement intéressé. »
Dans sa décision du 26 novembre 2010, le Conseil constitutionnel a repris presque intégralement ces deux considérants. Il a cependant pris en compte le fait que, depuis la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, l’existence de la justice administrative trouve son fondement dans la Constitution elle-même42. Il en résulte que l’unification du contentieux, qui, en matière d’hospitalisation sans consentement, paraît répondre aux conditions posées par le considérant 16 de la décision du 23 janvier 1987, est une faculté laissée au législateur mais n’est pas imposée par une exigence constitutionnelle.
42 Décision n° 2009-595 DC du 3 décembre 2009, Loi organique relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution, cons. 3.
- D’autre part, s’agissant en particulier des dispositions en cause, le Conseil constitutionnel a constaté que la compétence du juge administratif pour statuer sur la régularité de la procédure ou la décision administrative ayant conduit à l’hospitalisation sans consentement ne limite pas la compétence du juge judiciaire pour juger la demande formée, en application de l’article L. 351 du CSP, pour voir statuer sur la nécessité de la privation de liberté et, le cas échéant, prononcer la sortie immédiate de la personne hospitalisée.
b) Les conditions de saisine du juge
La simple lecture de l’article L. 351 du CSP, devenu l’article L. 3211-12, montre l’existence, pour toute personne qui entend demander sa « sortie immédiate » d’un recours simple, accessible, sans formalités susceptibles d’y faire obstacle, auprès du président du tribunal (compétence désormais exercée par le juge des libertés et de la détention).
Ce recours est ouvert à toute personne hospitalisée sans son consentement ou retenue dans quelque établissement que ce soit, public ou privé, accueillant des malades soignés pour troubles mentaux, au conjoint, au concubin, au tuteur, au curateur, au curateur à la personne, à un parent, à toute personne susceptible d’intervenir dans l’intérêt du malade, à la personne ayant demandé l’hospitalisation, et au procureur de la République. Le texte prévoit même, ce qui est exceptionnel, que le juge peut se saisir d’office à tout moment et qu’à 20
cette fin, toute personne peut porter à sa connaissance les informations qu’elle estime utiles sur la situation d’un malade hospitalisé. Le droit de saisine d’office permet ainsi au juge, s’il l’estime nécessaire, de passer outre l’éventuelle irrégularité formelle de sa saisine pour examiner la question au fond.
La demande de sortie immédiate peut être introduite « à quelque époque que ce soit », par simple requête. Le juge des libertés et de la détention statue en la forme des référés après débat contradictoire et après avoir ordonné les vérifications nécessaires.
Ces dispositions présentent toutefois une carence touchant à l’absence de toute exigence encadrant les délais dans lesquels le juge doit statuer. Cette carence a pu conduire à des pratiques incompatibles avec une protection effective de la liberté individuelle et qui ont fondé des condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).
Par quatre arrêts de 200243 confirmés par un arrêt du 27 octobre 200544 et encore tout récemment le 18 novembre 201045, la CEDH a condamné la France compte tenu du délai excessif dans lequel les tribunaux judiciaires avaient statué sur la légalité des internements psychiatriques et les demandes de sortie immédiate. Étaient en particulier en cause les délais de réalisation des expertises ordonnées par le juge. La norme de référence en cette matière est non pas le « délai raisonnable » de l’article 6 § 1 de la Convention, mais le « bref délai » de son article 5 § 4. La jurisprudence est particulièrement vigilante et n’apprécie pas seulement la durée globale de la procédure : elle examine si chaque étape a été traitée avec suffisamment de diligence.
43 CEDH, 18 juin 2002, Delbec c. France, n° 43125/98 ; 27 juin 2002, D.M. c. France, n° 41376/98 ; 27 juin 2002, L.R. c. France, n° 33395/96 et 5 novembre 2002, Laidin c. France, n 43191/98.
44 CEDH, 27 octobre 2005, Mathieu c. France, n° 68673/01.
45 CEDH, 18 novembre 2010, précité.
46 Décret n° 2010-526 du 20 mai 2010 relatif à la procédure de sortie immédiate des personnes hospitalisées sans leur consentement prévue à l’article L. 3211-12 du code de la santé publique.
Ce n’est que récemment que la question a été traitée par l’édiction de règles de procédure imposant au juge de statuer dans les meilleurs délais : un décret du 20 mai 201046 a enserré l’intervention du juge des libertés et de la détention dans des délais brefs : l’article R. 3211-9 du CSP impartit au juge un délai de 12 jours pour statuer, le délai étant porté à 25 jours en cas d’expertise, laquelle doit être réalisée dans un délai de 15 jours selon l’article R. 3211-6 du CSP.
On pouvait s’interroger sur le point de savoir s’il appartient bien au décret de fixer des garanties aussi importantes au regard de l’exercice des libertés et si l’article L. 351 du CSP ne souffre pas d’incompétence négative. Les pratiques 21
antérieures, dénoncées par la CEDH, tendraient à en attester. On chercherait en vain dans cet article du code une disposition à laquelle attacher une interprétation qui imposerait au juge de statuer dans un délai très court. La désignation de la procédure (« en la forme des référés ») pourrait à tort y inciter. Toutefois, la « forme des référés » désigne une procédure simplifiée qui n’est pas « le référé », procédure d’urgence.
Le Conseil a toutefois estimé que la lacune de l’article L. 351 du CSP ne méritait pas la censure et qu’il pouvait y être remédié par une réserve d’interprétation. Il a donc jugé que l’article L. 351 n’était conforme à la Constitution que sous réserve que la règle de procédure exige que le juge statue dans un bref délai.
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