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mardi 21 décembre 2010

Débat sur la "judiciarisation raisonnable" de la psychiatrie. Agence Presse Médicale, le 20/12/2010.


(Par Hélène MAUDUIT)

PARIS, 20 décembre 2010 (APM) - La décision du Conseil constitutionnel sur les hospitalisations à la demande d'un tiers en psychiatrie (HDT) et la réforme des

soins sous contrainte ont donné lieu vendredi à un débat entre psychiatres,
magistrats et parlementaires sur une "judiciarisation raisonnable" de la psychiatrie.

La décision du Conseil constitutionnel d'exiger l'intervention systématique du

juge judiciaire sur la prolongation d'une HDT au-delà de 15 jours a été discutée
sous l'aspect de ses conséquences pratiques, lors du débat organisé vendredi
matin à Paris par l'association scientifique du Syndicat des psychiatres d'exercice
public (Spep), Ancre-psy.

Le Conseil constitutionnel a demandé au législateur de modifier la loi d'ici le 1er

août 2011 (cf dépêche APM HMNKQ001). Sa décision ne porte que sur les
prolongations de HDT mais plusieurs intervenants ont estimé que les
prolongations d'hospitalisation d'office (HO) seraient aussi concernées.

Le projet de loi sur les soins sous contrainte, présenté en mai 2010 et en attente

de discussion au Parlement, prévoit un rôle accru pour le juge des libertés et de
la détention (JLD) mais ne va pas aussi loin.

Le Dr Michel Triantafyllou (Hôpital Max Fourestier de Nanterre) a fait part des

interrogations des psychiatres sur la véritable portée de ce changement pour les
HO.

"Est-ce que le greffe du tribunal va remplacer les services du préfet et de la Ddass

ou est-ce que le juge va organiser un débat contradictoire dans lequel le patient
sera représenté?". Le risque, a-t-il ajouté, est que la procédure prenne du temps.

Le Dr François Caroli (CH Sainte-Anne) a estimé, concernant l'HDT, que les psychiatres

ne voyaient "pas d'inconvénient" à envoyer leur certificat, établi pour la prolongation
au-delà de 15 jours, au juge des libertés et de la détention (JLD) plutôt qu'au directeur
de l'établissement.

"Ce qui m'intéresse est de soigner les patients le plus vite possible" quand il y a

nécessité d'une prise en charge urgente.

Il s'est dit favorable au contrôle par le juge des conditions légales mais a estimé que

le psychiatre devait rester maître de certaines décisions. "Je suis pour une judiciarisation raisonnable, donc je suis contre la judiciarisation".

Le magistrat Serge Portelli a répondu que "le juge tout seul" n'était "rien" et que la judiciarisation signifiait un "vrai débat contradictoire" où chacun vient expliquer

l'enchaînement des faits et son point de vue.

Deux cas très différents se présenteront au juge, a estimé le Dr Olivier Boitard (centre hospitalier interdépartemental de Clermont, Oise), secrétaire général de l'Union

syndicale de la psychiatrie (USP) qui soutient le collectif "Mais c'est un homme",
favorable à la judiciarisation.

"Il y aura le cas où le psychiatre a accordé une sortie mais qui est refusée par le préfet

et il y aura le cas où le patient conteste la décision médicale et là il y aura plus de contradictoire".

Olivier Boitard a rejoint en partie François Caroli en estimant que "le juge autorise et

contrôle mais il ne décide pas".

Il a conclu qu'il fallait "une alliance entre psychiatre et magistrat contre le préfet" alors

que, dans la loi de 1838, il y avait eu "une alliance entre les préfets et les aliénistes" pour
éviter qu'on "coupe la tête" des malades.

La magistrate Hélène Franco, secrétaire générale du Syndicat de la magistrature et

signataire de "Mais c'est un homme", a estimé que l'intervention systématique du juge
était indispensable pour contrer la montée de la "démagogie sécuritaire" depuis 2002.

Elle a critiqué plusieurs dispositions de la réforme, notamment la période d'observation de

72 heures -"une garde à vue psychiatrique"- et les soins sans consentement en
ambulatoire qui "feront de la France un immense hôpital psychiatrique" -puisque le
domicile du patient deviendra un lieu de soins sous contrainte et donc un lieu de privation
de liberté.

ROBERT BADINTER MET EN GARDE LES PSYCHIATRES

L'ancien avocat et ministre de la justice Robert Badinter a mis en garde les psychiatres

contre une tentation d'un "transfert de responsabilité de l'institution judiciaire vers le
psychiatre".

Reprenant les arguments qu'il avait exposés en 2008 lors des débats parlementaires de

la loi sur la rétention de sûreté (cf dépêche APM FBLAU004), il a souligné qu'elle marquait
"la fin de la liaison entre acte criminel et détention" ("on enferme un homme pour ce qu'il a
fait ou est présumé avoir fait") puisque la personne sera maintenue enfermée "pour une
durée indéterminée au regard de ce qu'il est susceptible de faire (...) de sa dangerosité présumée".

Cette évolution est un retour en arrière, faisant passer d'une "justice tournée vers l'insertion" vers une "justice d'élimination". La rétention de sûreté s'apparente à une "perpétuité absolue" pour s'assurer que "celui-là, on le reverra plus".

La question posée pour statuer dans la rétention de sûreté est celle de "la probabilité très élevée de récidive" en raison de "troubles graves de la personnalité" et elle sera posée au psychiatre.

"Le psychiatre est le pivot de ce système car que font les magistrats? Ils se tournent vers les psychiatres" car le monde judiciaire est "incapable d'évaluer cette probabilité de récidive". "Et vous, les psychiatres, derrière qui vous abriterez-vous?", a demandé le sénateur.

Le Dr François Caroli s'est demandé si les psychiatres seraient en mesure de résister à cette pression. Il a estimé que le psychiatre ne devait pas oublier de "ne jamais être auxiliaire de justice, sauf à éclairer les juges".

hm/eh/APM polsan