Pages

mercredi 23 mars 2011

Le Monde du 22 mars 2011, sur l'I3P.


Reportage
Contestée, l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris assure remplir une mission médicale
LEMONDE| 22.03.11 | 15h37  •  Mis à jour le 22.03.11 | 15h37
C'est un couloir, méticuleusement propre, couleur hôpital. A droite, l'administration, à gauche, dix chambres spartiates, meublées d'un seul un lit au carré. L'infirmerie psychiatrique de la Préfecture de police de Paris (IPPP) a ouvert ses portes, lundi 21 mars, toutes affaires cessantes, après un avis définitif du contrôleur général des lieux de privation de libertés, Jean-Marie Delarue, qui recommande sa fermeture.

Le docteur Eric Mairesse ne comprend pas. Il a été nommé médecin chef de l'IPPP le 14 juillet 2009, le lendemain débarquaient quatre contrôleurs. Leur avis, après le long cheminement administratif d'usage, a été publié dimanche au Journal officiel. "Le rapport est en deux parties, constate le psychiatre, passablement crispé. Sur la visite, il n'y a rien de spécial, deux trois choses à revoir. Le reste est un réquisitoire, pour qui c'est la structure même qui pose problème."

C'est un bon résumé. L'infirmerie psychiatrique, fondée en 1872, est un lieu unique en France que la Préfecture tient soigneusement à l'écart des regards extérieurs, et les journalistes qui ont pu y mettre les pieds se comptent sur les doigts d'une main. Toute personne qui provoque un trouble à l'ordre public, menace sa sécurité ou celle d'autrui à Paris intra-muros ou autour des aéroports est envoyée par les commissariats à l'IPPP en observation. Le "présumé malade", déshabillé, lavé et en pyjama, est placé en observation pour une durée curieusement comparable à une garde à vue, vingt-quatre heures renouvelables. Il est ensuite hospitalisé d'office par le préfet dans un hôpital psychiatrique, à la demande d'un tiers, par sa famille ou simplement remis dehors - ou à la police s'il a commis un délit.

Même processus à Paris dans les services psychiatriques d'urgence ; en région, c'est en revanche le maire et non le préfet qui signe les hospitalisations d'office. A Paris, l'IPPP, sous la seule tutelle de la -Préfecture de police, abat le gros du travail, et délivre les neuf dixièmes des certificats d'hospitalisation d'office, systématiquement suivies par le préfet de police.

En 2010, 1 879 personnes y ont été conduites (contre 2 061 l'année précédente). Et 41, 6 % d'entre elles ont été hospitalisées d'office, 9,7 % à la demande d'un tiers - les familles sont systématiquement recherchées et prévenues, 10,23 % sont hospitalisées avec leur accord. 12,2 % sont ressorties librement, mais 23,1 % ont été reprises en charge par les services de police. C'est dire que, à l'IPPP, on a une chance sur dix d'en ressortir, 2 sur 10 de retourner au commissariat, 8 sur 10 d'être hospitalisé.

Le docteur Mairesse estime que le système fonctionne bien. "Nous accueillons en moyenne cinq personnes par jour, c'est une structure riche, nous avons le temps, les moyens, j'en profite pour faire le travail le plus pertinent possible." Il en veut pour preuve que le taux d'hospitalisations d'office est de 40 % à Paris, contre 60 en région.

"Je n'ai pas deux blouses"
M. Delarue ne dit pas le contraire, et salue "la conscience professionnelle" des personnels. Ils sont d'ailleurs nombreux : 30 médecins à temps partiel, 3 infirmiers et 3 surveillants en permanence jour et nuit, un luxe inouï en psychiatrie. Mais "l'infirmerie psychiatrique ne dispose d'aucune autonomie, constate le contrôleur, elle est un service d'une des directions de la Préfecture (...) A supposer que les médecins qui y exercent ne soient pas sous l'autorité hiérarchique de la Préfecture de la police de Paris, ils sont rémunérés par elle, les conditions matérielles de leurs fonctions et la gestion de leur carrière en dépendent. L'établissement n'a donc rien à voir avec un centre hospitalier."

L'IPPP "entretient le doute sur la distance entre considérations d'ordre public et considérations médicales, soutient M. Delarue. Pourquoi l'appréciation compétente d'une situation pathologique a-t-elle des liens avec une institution de police ?" Il recommande au gouvernement "le transfert des moyens" de l'IPPP aux hôpitaux.

"Notre responsabilité médicale est pleine et entière, répond le docteur Mairesse. Aucun d'entre nous n'a besoin de la Préfecture de police pour faire carrière. Nous travaillons tous par ailleurs avec la même déontologie. Je n'ai pas deux blouses." Mais il a deux adresses Internet, dont une au ministère de l'intérieur.

Franck Johannès