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dimanche 20 mars 2011

Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté prend position pour la fermeture de l'Infirmerie psychiatrique de la Préfecture de police de Paris.

 Lien: http://psychiatrie.crpa.asso.fr/  Voir ce blog au 20 novembre 2010, un sujet sur l'IPPP.


http://www.cglpl.fr/
Journal Officiel Lois et Décrets nº 0067 du 20 mars 2011 texte nº 38.

Recommandations du 15 février 2011 du Contrôleur général des lieux de privation de liberté relatives à l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police.

L’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police, sise 3, rue Cabanis, à Paris (14e), a fait l’objet d’une visite de quatre contrôleurs du contrôle général des lieux de privation de liberté, du 15 au 17 juillet 2009.
Les constats opérés lors de cette visite ont donné lieu à un rapport de constat qui a été communiqué au préfet de police, pour recueillir ses observations. Celles-ci ont été produites le 22 décembre 2009.
Le rapport complet de la visite a été communiqué par correspondance en date du 18 juin 2010 pour attribution au ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales et au préfet de police, et pour information, le même jour, au ministre de la santé et des sports. Le préfet de police a communiqué ses observations en réponse le 7 septembre 2010 ; le ministre, le 24 septembre 2010.

À la suite de cette procédure et conformément à la loi nº 2007-1545 du 30 octobre 2007, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a décidé de rendre publiques les recommandations suivantes :
Il y a lieu de relever d’abord que l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police, institution remontant au Consulat sous des appellations diverses, est en forte évolution sur bien des éléments, en particulier s’agissant des relations entre le personnel et les patients qui y sont placés (refonte du règlement intérieur et de la charte d’accueil, registres) et des conditions matérielles de prise en charge des personnes, de leur famille et de leurs avocats, ces derniers étant désormais accueillis sans difficultés, comme l’exigence en a d’ailleurs été rappelée par le Conseil d’État (20 novembre 2009, préfet de police, nº 315 598).
Il s’en déduit que la matérialité du droit au recours est assurée, dès lors du moins que la personne qui y est placée a la possibilité matérielle de joindre l’extérieur.
Sans remettre en cause la qualité intrinsèque ni la conscience très partagée avec laquelle les personnels de l’établissement exercent leurs fonctions, les contrôleurs ont vivement regretté la confusion des rôles résultant d’une tenue uniforme entre personnel de surveillance et personnel soignant. Le préfet de police a indiqué que désormais des badges permettaient de mieux identifier l’un et l’autre. Il convient de renoncer au port de la blouse infirmière pour les surveillants.

De même, on doit garder à l’esprit que le séjour dans l’établissement, qui a un rôle exclusif d’orientation, ne peut avoir nécessairement qu’un caractère très provisoire.
L’organisation de la présence médicale en vigueur lors de la visite avait pour résultat que les personnes arrivant après 14 heures devaient obligatoirement, alors même qu’aucune nécessité thérapeutique ou de prise en charge ne l’exigeait, demeurer sur place jusqu’au lendemain. Une solution au moins provisoire a été trouvée depuis. Il convient d’en assurer la pérennité.

Surtout, il existe une certaine confusion dans les orientations décidées sur place entre procédures d’hospitalisation d’office et d’hospitalisation à la demande d’un tiers, dont les procédures sont pourtant soigneusement distinguées par la loi. Cette confusion résulte des difficultés qu’ont les proches d’obtenir l’autorisation de visiter des patients, par conséquent d’être en mesure s’ils le souhaitent d’engager des procédures d’hospitalisation à la demande d’un tiers. Des clarifications doivent être engagées sur ce point.
Les éléments qui précèdent ne nécessitent pas à eux seuls la publication de recommandations. En revanche, le principe même de l’existence de l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police mérite des choix clairs.

Comme il est rappelé dans un avis du Contrôleur général publié ce même jour, l’hospitalisation sans consentement, dont l’admission dans l’établissement est un des outils, est, notamment, une privation de liberté. Celle-ci doit donc s’entourer des garanties nécessaires à l’équilibre entre préservation de l’ordre public et droits de la personne.
Ces garanties impliquent que les décisions prises le soient par les personnes qui en ont la charge sur ces seules considérations.

Il est incontestable que l’organisation particulière de Paris a sa traduction en matière d’hospitalisation d’office, comme l’établit le code de la santé publique : d’une part, le préfet de police, et non pas le préfet du département, est l’auteur des arrêtés qui ordonnent le placement d’une personne en hospitalisation d’office, le prolongement de la mesure ou sa mainlevée ; d’autre part, sur le fondement de la police municipale exercée à Paris précisément par le préfet de police, les commissaires de police d’arrondissement et non pas le maire prennent des mesures provisoires à l’égard des personnes « dont le comportement révèle des troubles mentaux manifestes » (art. L. 3213-2 de ce code).
Mais cette compétence particulière ne peut fonder l’existence de l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police. Elle serait en effet identique si les mesures provisoires étaient prises dans les centres hospitaliers de droit commun, qui sont ceux visés à l’article L. 3222-1 du code de la santé publique. Autrement dit, si de fait l’établissement tire son origine de la compétence donnée au préfet de police en 1800, le maintien de cette compétence n’exige nullement le maintien de l’établissement sous sa forme actuelle.

Il n’appartient évidemment pas au contrôle général de se prononcer sur un choix d’organisation administrative. Mais la question de savoir si cette organisation présente les garanties suffisantes au sens où elles ont été mentionnées ci-dessus l’intéresse. En l’état, il ne le semble pas.
D’une part, l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police ne dispose d’aucune autonomie. Elle est un service d’une des directions de cette préfecture (la direction des transports et de la protection du public), dépendant en particulier de la sous-direction de la protection sanitaire et de l’environnement. Ses ressources lui sont assurées par le truchement de la préfecture de police. À supposer que les médecins qui y exercent ne sont pas sous l’autorité hiérarchique de la préfecture de police de Paris, comme le ministre prend soin de le rappeler dans ses observations (pas plus que, s’agissant de l’exercice de leur art, les praticiens hospitaliers ne le sont de la direction d’un hôpital), ils sont rémunérés par elle, les conditions matérielles de leurs fonctions et la gestion de leur carrière en dépendent.
L’établissement n’a donc rien à voir avec un centre hospitalier habilité à accueillir des malades mentaux. Par conséquent, les dispositions propres aux droits des personnes accueillies en hôpital ne s’y appliquent pas (par exemple les « droits de la personne » figurant au début du code de la santé publique) et aucune autorité de santé n’est compétente pour y vérifier les contenus et les modalités de soins.
D’autre part, s’il est vrai qu’existe une commission départementale des hospitalisations psychiatriques chargée, à Paris comme dans les autres départements, de connaître de toutes les mesures d’hospitalisation sans consentement et de visiter les établissements pour y entendre les malades, ses membres sont, dans la capitale, nommés par le préfet de police (art. R. 3223-1 du code de la santé publique).

Par conséquent, les contrôles de l’établissement n’offrent pas les garanties d’indépendance de ceux qui ont lieu dans les autres départements.

Enfin, dès lors qu’elle ne ressortit pas à la catégorie des établissements hospitaliers qui relèvent de l’article L. 3222-4 du code, l’infirmerie psychiatrique n’est pas visitée par les magistrats des tribunaux compétents et, notamment, par le parquet. Certes, le préfet de police fait valoir que ces visites ont lieu de facto. Elles ne sont cependant pas garanties.

Dans ces conditions, il ne paraît pas possible de penser que les décisions d’orientation qui y interviennent sont prises avec toutes les assurances nécessaires. Le dispositif entretient le doute sur la distance entre considérations d’ordre public et considérations médicales.
Ce faisant, il ne s’agit pas de faire supporter ce doute sur le comportement et la conscience professionnelle des médecins et des soignants, qui n’encourent aucune critique.
Mais pourquoi l’appréciation compétente d’une situation pathologique a-t-elle des liens avec une institution de police ? Il y a là les conditions d’une confusion dans la matière délicate de la privation de liberté pour motifs psychiatriques auxquelles il importe de mettre fin.

On fait valoir que l’établissement assure une médecine d’urgence bienvenue, pouvant appréhender en particulier les phénomènes de violence. Mais, outre qu’elle est pratiquée semble-t-il avec un fort développement des moyens de contention, on peut se demander si son appartenance à la préfecture de police n’exacerbe pas, chez certains patients, les manifestations de violence.
En tout état de cause, seuls 41% des patients sont placés après leur séjour dans l’établissement en hospitalisation d’office : par conséquent, tous ne sont pas violents.
En tout état de cause, si l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police était sans équivalent lors de son apparition, voici plus de deux siècles, tel n’est plus le cas aujourd’hui. Les centres hospitaliers de droit commun assurent des prises en charge de même nature : à Paris, les hôpitaux accueillent un nombre bien supérieur d’urgences psychiatriques que l’infirmerie psychiatrique ― dans un rapport de un à huit environ ― qui n’a, d’ailleurs, aucun équivalent dans une autre agglomération française.

C’est pourquoi il est recommandé au Gouvernement de mettre dès qu’il sera possible le transfert des moyens de l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police au dispositif hospitalier de droit commun, sans modifier naturellement les compétences en matière de police sanitaire attribuées au préfet de police et aux commissaires de police.
J.-M. Delarue.
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Le Contrôleur général prend position sur l'H.O.

Lien: http://psychiatrie.crpa.asso.fr/

 Journal officiel Lois et décrets, n°0067 du 20 mars 2011.

Texte n°39


AVIS
Avis du 15 février 2011 du Contrôleur général des lieux de privation de liberté relatif à certaines modalités de l’hospitalisation d’office

NOR: CPLX1107435V






1. En vertu de la loi, les préfets peuvent, sur le fondement d’un certificat médical précis, faire admettre à l’hôpital des personnes, contre leur gré, atteintes de troubles mentaux et qui « compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l’ordre public ». Cette mesure exceptionnelle (plus de 15 000 par an sont prises), appelée « hospitalisation d’office » peut être renouvelée, sans limite de temps, de sorte que la personne visée reste à l’hôpital. Celle-ci en sort lorsque le médecin psychiatre, qui estime la sortie possible, la propose au préfet, lequel décide ou non la mainlevée de l’hospitalisation d’office. Dès avant cette sortie toutefois, le séjour hospitalier peut être aménagé par des « sorties d’essai », autorisées par le préfet, conçues en général pour être de plus en plus longues avant la sortie définitive. La durée moyenne de séjour à l’hôpital des personnes hospitalisées d’office est de 95 jours : elle a tendance aujourd’hui à croître.

2. L’exercice de telles prérogatives, lesquelles se font désormais avec l’aide des agences régionales de santé, requiert en permanence un équilibre délicat à atteindre entre les exigences de l’ordre public, la nécessité des soins et la considération de la fragilité des personnes en cause. Le danger que peuvent représenter ces dernières, pour elles-mêmes ou pour autrui ― lequel n’est pas nécessairement proportionné à des manifestations extérieures parfois spectaculaires, avec lesquelles il ne doit pas être confondu ― nécessite sans aucun doute des mesures de contrainte. C’est pourquoi, l’hospitalisation d’office est bien une mesure de privation de liberté, ainsi qu’il est jugé tant en droit interne (par exemple cour d’appel de Paris, 1re chambre, A, 13 avril 1999) que par la Cour européenne des droits de l’homme (par exemple CEDH, 3e section, 16 juin 2005, Storck c/Allemagne, n° 61603/00). La nécessité d’apporter des soins aux intéressés ne peut dissimuler cette réalité, au contraire de ce qui est indiqué parfois par des personnels soignants ― ce qui ne signifie pour autant nullement qualifier un hôpital de « prison ». Cette privation de liberté doit donc être entourée de toutes les garanties nécessaires, d’autant plus que la personne n’est pas nécessairement à même de faire valoir sans difficultés les droits qu’elle tient de la loi. C’est là la mission même du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

La privation de liberté ne peut, en l’occurrence, être maintenue que si, et seulement si, deux conditions sont avérées : qu’une menace grave à l’ordre public soit établie ; que des soins tels que ceux dispensés à l’hôpital soient nécessaires.

3. Quatre éléments constituent aujourd’hui une rupture de l’équilibre à atteindre.

4. En premier lieu, la direction et le corps médical des établissements doivent être particulièrement vigilants sur la faculté donnée aux personnes qui sont hospitalisées d’office de contester devant le juge compétent la mesure dont elles sont l’objet.

Tel n’est pas le cas lorsque, d’une part, les droits qui doivent être notifiés dès l’admission à l’hôpital sont souvent présentés abstraitement et indiqués de manière expéditive, quand la notification elle-même n’est pas différée. Lorsque, d’autre part, le recours à l’avocat n’est pas toujours immédiatement possible, certains psychiatres estimant qu’un temps d’adaptation à l’hôpital est nécessaire dont ils décident la durée au vu de l’état du patient : or, si une phase de cette nature peut être prescrite, elle ne peut s’appliquer à l’avocat, dont l’accès doit être inconditionnel. Lorsque enfin, n’est pas précisé ― tel est le cas dans environ la moitié des établissements visités jusqu’à ce jour ― à la personne admise la possibilité qu’elle a de désigner, conformément aux dispositions législatives régissant le droit des malades, une « personne de confiance » chargée notamment de « l’accompagner dans ses démarches » : or cette personne est susceptible d’apporter une aide efficace à ceux qui, admis sous le régime de l’hospitalisation d’office, portent atteinte sans doute à l’ordre public mais sont simultanément, souvent, très vulnérables, parfois privées de tout soutien familial.

5. En deuxième lieu, à rebours de la politique entamée au cours des années soixante, les portes d’un nombre croissant d’unités hospitalières psychiatriques sont aujourd’hui fermées à clef. Leurs patients ne peuvent sortir librement, même pour se promener dans un parc, se rendre dans une cafétéria, ou participer à un office religieux. Ces restrictions ne sont pas sans incidences sur la vie des malades (par exemple sur l’éventail des activités thérapeutiques offertes ou les difficultés qu’il y a à fumer) et sur les relations avec leurs proches. Mais on voudrait ici attirer l’attention sur ce seul point : la mise sous clé des unités, donc des personnes, a pour effet de mettre dans des conditions identiques des malades entrés sous le régime de l’hospitalisation d’office et des patients présents comme hospitalisés dits « libres », c’est-à-dire étant venus à l’hôpital avec leur consentement.

On doit se demander, par conséquent, ce qu’il advient de cette liberté si, de fait, pas davantage que les autres, les malades en hospitalisation libre ne peuvent disposer du droit de sortir comme ils l’entendent, autrement dit sont, dans la réalité, privés de leur liberté d’aller et de venir. Surtout, on doit relever que cet enfermement ne s’est accompagné d’aucune procédure particulière : elle est la seule conséquence du choix des responsables de l’unité où ces malades se trouvent (on sait qu’ils sont affectés par « secteur » géographique) d’en avoir demandé et obtenu la fermeture. Ni décision individuelle, ni indication d’aucune voie de recours, ni a fortiori l’intervention d’aucun juge n’ont déterminé une telle situation. Il y a lieu de s’interroger sur cette manière de faire. Il paraît utile que le « malade libre » ait au moins le choix entre unité ouverte et unité fermée et, s’il choisit cette dernière, d’assurer qu’il est avisé de ses droits, en particulier de son droit à contester à bref délai la mesure dont il est l’objet.

6. En troisième lieu, les craintes d’atteintes à l’ordre public rendent, dans un nombre croissant de départements, l’obtention des sorties d’essai plus difficile et les mainlevées de mesures d’hospitalisation d’office plus aléatoires.

Traditionnellement, en effet, les représentants de l’Etat suivaient très largement les avis médicaux qui leur étaient soumis et accordaient en conséquence les mesures sollicitées. Il n’en va plus de même aujourd’hui et ce, dans trois domaines.

a) Le premier est celui des sorties d’essai.

Il est implicitement mais nécessairement considéré par les autorités qui ont à accorder l’autorisation de sortie que, lorsque la sortie d’essai est demandée, le patient demeure aussi dangereux pour lui-même ou pour autrui qu’au jour de son hospitalisation. En tout état de cause, elles font parfois procéder à une enquête de police, laquelle, se déroulant dans les lieux où vivait la personne en cause, avant que celle-ci ne soit hospitalisée d’office, ne peut rien énoncer de plus que les faits initiaux ayant conduit à l’hospitalisation. Et comme ces faits révèlent un danger, la tentation est grande de s’en tenir à un refus de la proposition du psychiatre.

C’est, indirectement, reconnaître qu’entre le jour de l’hospitalisation et le moment où le psychiatre propose en connaissance de cause un allégement des contraintes il ne s’est rien passé.

Cette idée, qui ignore d’ailleurs la conscience professionnelle des soignants, est inexacte et méconnaît l’esprit de la loi en vigueur. Celle-ci repose, en effet, sur l’idée que les soins apportés au malade, notamment les traitements qui lui sont prescrits ou administrés, s’ils ne conduisent pas au retour à un état stable et dépourvu de manière permanente de tout danger, peuvent au moins garantir pour des périodes plus ou moins prolongées que le patient n’est plus dangereux. Par conséquent, dans cette hypothèse, la loi rend possible l’allégement des contraintes sous la forme d’une sortie d’essai. Certes, il ne s’agit que d’une possibilité. Mais elle ne saurait être mise en échec ― s’agissant d’une privation de liberté ― que pour des motifs avérés de risque de danger ou d’atteinte grave à l’ordre public. Il apparaît impossible de fonder un refus sur des faits anciens : seul des faits actuels devraient pouvoir être pris en considération. Le rappel des faits passés ayant conduit à l’hospitalisation ne saurait établir la réalité de tels motifs.

b) La deuxième porte sur les mesures de fin d’hospitalisation d’office.

De manière symétrique, l’avis des psychiatres relatif à une fin de l’hospitalisation d’office est regardé par l’autorité publique avec une méfiance similaire. Identiquement, des enquêtes sont ordonnées, mais qui ne peuvent porter par définition que sur des faits antérieurs à l’hospitalisation et, par conséquent, ne sauraient apporter aucune indication sur l’état de santé du patient au terme du traitement dispensé à l’hôpital. Or, pour s’exprimer comme le Conseil constitutionnel, seuls des « motifs médicaux » et des « finalités thérapeutiques » (décision n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010, consid. 25), associés en l’occurrence à la préservation actuelle de l’ordre public, peuvent justifier la privation de liberté.

c) La troisième concerne l’hospitalisation d’office des personnes incarcérées.

Les autorités responsables de l’ordre public craignent que les conditions de l’hospitalisation d’office de détenus, qui est actuellement en croissance (environ 1 200 chaque année), ne facilitent une éventuelle évasion dans la mesure où, aujourd’hui, cette hospitalisation s’effectue en milieu hospitalier de droit commun. C’est pourquoi, dans certains départements, lorsque le médecin compétent demande « de manière circonstanciée » une telle mesure, sur le fondement des articles L. 3214-1 et suivants du code de la santé publique et de l’article D. 398 du code de procédure pénale, son exécution est subordonnée dans certains cas à des investigations de police ou de gendarmerie ou à l’avis du parquet. Ces indications ont pour effet de retarder l’admission à l’hôpital demandée et même, dans certains cas, de conduire à la refuser. Elles ont toujours pour conséquence de laisser hors d’une thérapeutique adaptée (et à la charge des personnels pénitentiaire, d’une part, et soignant, d’autre part, dans la prison) des personnes dont il est estimé qu’elles relèvent d’urgence d’un traitement plus lourd. En l’espèce, il ne s’agit donc pas d’un risque de privation arbitraire de liberté, mais du risque de soins volontairement inadaptés à l’état de santé de la personne malade : les droits fondamentaux de la personne détenue exigent pourtant que des soins appropriés à son état de santé puissent lui être prodigués (Cour européenne des droits de l’homme, 5e sect., 16 octobre 2008, Renolde c/ France, n° 5608/05).

Telles qu’elles sont menées aujourd’hui, ces trois pratiques, en particulier les deux premières, ont pour effet global d’accroître le nombre de patients hospitalisés et la durée de leur séjour, de faire obstacle à des sorties d’essai que l’état des patients permettrait et plus encore de maintenir à l’hôpital des personnes dont l’état, attesté par les médecins, ne justifie pas qu’elles y soient maintenues contre leur gré. Elles peuvent, dans certains cas, comme l’a constaté le contrôle général, conduire à un encombrement des lits hospitaliers et éventuellement à faire obstacle à l’hospitalisation de personnes qui en auraient au contraire réellement besoin. C’est donc une politique à courte vue qui peut avoir des effets contraires à ceux recherchés.

7. En quatrième et dernier lieu, la pratique très générale qui consiste à mettre nécessairement, quel que soit leur état de santé, les détenus hospitalisés d’office (article D. 398 susmentionné du code de procédure pénale) en chambre d’isolement (sécurisée) et, surtout, à les y maintenir pendant toute la durée de leur hospitalisation, alors même qu’ils seraient consentants aux soins et alors qu’aucune justification médicale ne peut être invoquée pour un tel maintien, appelle également de sérieuses réserves. Cet état de fait, souvent imposé à la direction des établissements et, par voie de conséquence, aux responsables médicaux par l’autorité chargée de l’ordre public, compromet la santé du détenu malade à un double titre. Il lui interdit d’avoir accès, contrairement aux autres malades qui ne sont pas isolés, aux thérapies collectives mises en œuvre (groupes de parole, ergothérapie...). Elle provoque fréquemment, du fait même des contraintes imposées au malade, la demande de ce dernier de réintégrer au plus vite l’établissement pénitentiaire d’où il provient, alors même que des soins à l’hôpital seraient encore nécessaires.

Il existe quelques établissements où les détenus hospitalisés d’office ne sont pas systématiquement placés à l’isolement, sans que pour autant le risque d’évasion ― qui motive usuellement le maintien en chambre sécurisée ― soit plus élevé ce qui permet de dispenser des soins adaptés à l’état des patients. Cette manière de voir doit prévaloir sur une mise à l’isolement automatique, qui méconnaît l’obligation d’adaptation des soins et les caractéristiques du détenu.

Comme précédemment, on doit souligner que l’accroissement du nombre de personnes maintenues inutilement à l’hôpital ou en chambre d’isolement peut en effet conduire à une difficulté de gestion des lits ou des chambres sécurisées disponibles, comme on l’observe déjà parfois, et à faire hospitaliser avec difficulté des personnes dont l’état le nécessiterait de manière urgente.

8. Comme il a été indiqué d’emblée, l’arbitrage évoqué entre les nécessités liées à la protection de l’ordre public et l’état de santé est délicat. On ne saurait se réclamer dans cette matière d’évidences qui s’imposeraient aisément. Mais les incertitudes et les risques qui subsistent ne peuvent pas conduire à un accroissement préoccupant du nombre de personnes dont la maladie n’exige plus qu’elles soient privées de liberté ou isolées, sans justification médicale reconnue, pour des motifs d’atteinte à l’ordre public qui ne seraient ni avérés ni actuels. Si l’on est en droit d’exiger des praticiens de donner des assurances d’ordre médical, on est aussi en droit attendre des autorités qu’elles établissent le risque qu’elles invoquent pour justifier la poursuite d’une privation de liberté.

9. Dans ces conflits entre praticiens, malades, autorités et protection des tiers, l’autorité judiciaire doit jouer davantage son rôle. A minima, il est, par conséquent, souhaitable qu’en cas de désaccord entre le corps médical et l’autorité administrative, en matière administrative, le juge compétent soit amené à trancher, le directeur d’établissement étant alors tenu de lui en référer sans formalité. 


J.-M. Delarue