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dimanche 22 mai 2011

Témoignage de Mr Laurent Wetzel, ancien Maire de Sartrouville (78) sur son internement arbitraire (juin 1995)



Cet internement abusif qui avait été rapporté à l’époque par les média d’ailleurs de façon tronquée, a prêté lieu à un ouvrage de Mr Laurent Wetzel : « Un internement politique sous la 5e République » Odilon Média ; juin 1997 (épuisé). C’est par cet internement que le pouvoir en place fit perdre à Mr Wetzel la Mairie de Sartrouville dont il était Maire, lors des élections municipales de juin 1995
Mr L. Wetzel, dans le témoignage ici publié, prend position en faveur d’une judiciarisation a priori de l’internement psychiatrique et s’appuie sur sa propre expérience pour étayer son propos.

Le 26 novembre dernier, le Conseil constitutionnel a partiellement censuré la loi du 27 juin 1990 sur l’hospitalisation sous contrainte pour troubles mentaux. Il l’a fait au motif que, selon cette loi, le juge n’intervient pas dans la décision qui conduit à l’hospitalisation, sans son consentement, d’une personne atteinte de troubles psychiques. Il a justifié sa censure en indiquant que « la liberté individuelle ne peut être sauvegardée que si le juge intervient dans le délai le plus court possible », et cela en vertu de l’article 66 de la Constitution, qui dispose :
« Nul ne peut être arbitrairement détenu. L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi. »
Il y a longtemps que la judiciarisation de l’internement psychiatrique était réclamée par des personnalités de premier plan. En 1904, Georges Clemenceau avait déposé une proposition de loi spécifiant que « tout internement d’aliéné constituera le délit de violation de la liberté individuelle s’il n’a été immédiatement soumis à la ratification de l’autorité judiciaire ». En 1976, François Mitterrand avait préfacé un ouvrage rédigé sous l’égide de Robert Badinter, Réflexions pour une Charte des libertés, dans lequel il était écrit : « L’autorité judiciaire a seule pouvoir de décider le placement d’un malade dans un établissement psychiatrique ».

Il fallut attendre la publication, en 1989, d’un livre percutant de Philippe Bernardet sur les internements arbitraires, Les dossiers noirs de l’internement psychiatrique, pour que les pouvoirs publics se décident enfin, en 1990, à améliorer la loi de 1838 relative à l’hospitalisation sous contrainte. Mais la nouvelle loi dite Evin-Rocard écartait à nouveau la judiciarisation de cette procédure malgré la demande instante de nombreux parlementaires.

La décision récente du Conseil constitutionnel oblige donc au vote d’une nouvelle loi prévoyant la saisine du juge lorsqu’il s’agit d’hospitaliser quelqu’un sans son consentement. Cependant, cette décision est assortie d’une étonnante recommandation qui fixe à 15 jours le délai au delà duquel l’intervention du juge devrait devenir obligatoire. Cette recommandation est étonnante car, d’après le code pénal, une séquestration qui dure plus d’une semaine est un crime, passible de la Cours d’assises. Elle n’en figure pas moins dans le projet de loi, actuellement en discussion au Parlement, qui vise à réformer la loi de 1990.

Mon expérience personnelle prouve que cette nouvelle disposition ne serait pas de nature à empêcher les internements arbitraires ni les conséquences extrêmement graves qu’ils peuvent entraîner, même quand leur durée est inférieure à 15 jours.

Cette expérience personnelle, je l’ai racontée, pièces à l’appui, dans un livre que j’ai publié aux Editions Odilon Media, en 1997, Un internement politique sous la Ve République. Barbouzes et blouses blanches.
Voici, en quelques mots, les faits que j’y relate :
  • En juin 1995, après avoir conduit des combats politiques difficiles, je suis candidat à ma réélection comme maire de Sartrouville, 2e commune du département des Yvelines.
    Le 18 juin, le jour même du second tour des élections municipales, à minuit cinq, je suis arrêté, devant mon domicile, par Bertrand Affres, le commissaire de police, entouré de 5 agents de la Brigade Anti-Criminalité. Il me contraint à monter dans une ambulance qui doit, me dit-il, m’emmener à l’hôpital Sainte-Anne. Il refuse de me laisser téléphoner à un avocat, à un médecin, à mon épouse. Il me refuse même d’aller chercher une brosse à dents.
  • A l’hôpital Sainte-Anne, le médecin de garde me questionne longuement et conclut : « Vous ne souffrez d’aucune pathologie mentale, votre hospitalisation n’aurait aucun sens ». J’ai obtenu plus tard copie des notes qu’il a écrites de sa main après m’avoir examiné. Il y affirmait effectivement :
    « M. Wetzel, âgé de 45 ans, amené par la police, ne présente pas de troubles maniaques, ni dépressifs, ni dissociatifs, ni de comportement »
    Je demande donc à ce médecin de me libérer pour rejoindre Sartrouville où le scrutin doit commencer quelques heures plus tard. Il croit nécessaire de consulter sa « hiérarchie », c’est-à-dire Guy Piau, Directeur de l’hôpital Sainte-Anne, dont je devais plus tard apprendre dans le Who’s Who qu’il avait été grand maître de la Grande Loge de France, et qui aurait dû, à ce titre, être tout particulièrement attaché au respect des droits de l’homme. Guy Piau lui donne alors l’ordre illégal de ne pas me laisser quitter l’hôpital Sainte-Anne où je serai séquestré pendant 12 jours par mesure préventive me diront des médecins dont les certificats reproduisent les calomnies que la police leur a communiquées sur mon compte.
  • Une fois libre, j’écris au Préfet des Yvelines, Claude Erignac, pour lui demander des explications sur mon arrestation par la police qui n’aurait pu intervenir que dans le cadre d’une hospitalisation d’office prescrite par un arrêté préfectoral. Il me répond qu’il ne s’est pas agi d’une hospitalisation d’office mais d’une hospitalisation à la demande de ma famille. Or, cette procédure n’existe pas. L’hospitalisation sous contrainte, c’est soit l’hospitalisation d’office, soit l’hospitalisation à la demande d’un tiers, et cette dernière formule exclut l’intervention de la police et impose la présence du tiers demandeur. Claude Erignac reconnaît, par là- même, qu’il s’est agi d’un enlèvement par la police, qui a déterminé une séquestration. Il termine sa réponse en incriminant le commissaire de police et le Procureur de la République.
  • J’en informe le commissaire de police qui m’assure avoir reçu ce qu’il appelle un « feu vert de sa hiérarchie » et proteste auprès du Préfet. Je reçois alors un second courrier, qui a reçu l’aval de Claude Erignac, qui est signé par Luc Rudolph, Directeur Départemental de la Sécurité Publique, et qui indique :
    « Il est clair que M. Affres n’a pas agi de son propre chef et avait préalablement obtenu le « feu vert » de sa hiérarchie et de l’administration préfectorale ».
L’ « opération », comme l’appelle Luc Rudolph, c’est-à-dire mon enlèvement par la police, a ainsi été ordonné par de hauts fonctionnaires du ministère de l’intérieur, au passé expressif :

• Claude Erignac, ancien Directeur du cabinet de Jacques Pelletier, ministre de la coopération dans le gouvernement Rocard.
• Luc Rudolph, ancien responsable de la « sécurité » sur le secteur français de Berlin-Ouest durant 6 ans.
• Gonthier Friederici, ancien membre du cabinet de Laurent Fabius à Matignon, qui était, à l’époque, sous-préfet de Saint-Germain-en-Laye.
Mais il est clair aussi qu’une telle « opération », inédite dans l’histoire politique de notre pays, n’a pas pu être conduite par ces trois fonctionnaires sans qu’ils aient obtenu le « feu vert » de la « hiérarchie politique », c’est-à-dire, au moins, de Jean-Louis Debré, Ministre de l’Intérieur, et d’Alain Juppé, Premier Ministre, à l’époque où Claude Guéant était Directeur général de la Police nationale. Fin 1995, Jean-Louis Debré est d’ailleurs venu inaugurer le nouveau commissariat de Sartrouville, en présence de Claude Erignac, Luc Rudolph et Bertrand Affres, comme pour leur manifester sa satisfaction.

Peu après, j’ai annoncé publiquement, devant le Conseil général des Yvelines, que j’allais intenter des poursuites judiciaires contre les auteurs de mon arrestation illégale. Cela n’a pas ralenti leur carrière, bien au 
contraire :
• En janvier 1996, Claude Erignac fut promis Préfet de région, Préfet de la région Corse. J’ai, à ce sujet, écrit dans mon livre, page 228 : « C’était une promotion, mais ce n’était pas une sinécure : il y risque sa vie tous les jours et il a plus de mal à arrêter légalement les terroristes corses qu’il n’en a eu a arrêter illégalement le maire de Sartrouville ». Un an plus tard, il était également promu officier de la Légion d’honneur.
• En 1997, Jean-Louis Debré remit lui-même les insignes de chevalier de la Légion d’honneur à Luc Rudolph au ministère de l’intérieur. Luc Rudolph fut plus tard nommé Conseiller pour la sécurité de Nicolas Sarkozy puis de Dominique de Villepin au ministère de l’intérieur. Il a terminé sa carrière comme Contrôleur général de la Police nationale, directeur des services actifs de la Préfecture de police de Paris et officier de la Légion d’honneur.
• Dès 1997, Gonthier Friederici est devenu Préfet, et il n’a cessé de l’être depuis cette date. Il vient d’être, 7 ans durant, Préfet du Finistère.
• Bertrand Affres enfin, a été nommé, en mars 1996, à l’Inspection Générale des Services, la « police des polices » , ce qui ne manque pas de sel quand on sait le zèle qu’il a mis à appliquer l’ordre illégal de mon arrestation. J’ai pu constater, de visu, un peu plus tard, qu’il était adhérent du Front National.
Les répercussions de cet enlèvement par la police et de cet internement arbitraire de 12 jours sur ma vie politique, professionnelle, sociale, familiale, personnelle, furent considérables.
Dès l’aube du 18 juin 1995, les militants RPR de Sartrouville font courir, partout dans la commune, dans les bistrots, dans les marchés, dans les bureaux de vote, des rumeurs selon lesquelles, armé d’un révolver, j’aurais menacé de tuer ma famille, celle de mon adversaire RPR, un certain Pierre Fond, ami et protégé de Pierre Bédier, des groupes de Maghrébins, des voyageurs à la gare Saint-Lazare, ce qui aurait conduit le préfet Erignac à me faire arrêter par la police et interner d’office. A 14h20, une dépêche de l’AFP, se fondant sur des informations données par la préfecture, annonce mon internement d’office, et, à 15 heures, à la demande du RPR Michel Péricard, un flash de RTL, la radio la plus écoutée de France, proclame la nouvelle. 
Ce coup de police politique fait élire de justesse la liste de Pierre Fond, mais le tribunal administratif de Versailles ne manque pas d’annuler une élection qui s’est déroulée dans de telles conditions. A la surprise générale, près d’un an plus tard, le Conseil d’Etat juge normal mon enlèvement par la police, légales les rumeurs calomnieuses concernant ma dangerosité, légitime le flash de RTL, et confirme l’élection. Le principal responsable du Parti communiste à Sartrouville s’indigne en ces termes de ce qu’il appelle un « déni de justice » :
« A Sartrouville un pas a été franchi par le Parti au pouvoir : l’utilisation, au moment du scrutin municipal, en toute illégalité, de l’hôpital psychiatrique pour éliminer de force un candidat gênant. Le jugement de cour du seul Conseil d’État est un jugement de complaisance en faveur du parti au pouvoir, qui fait le silence sur les graves manipulations du suffrage universel. Pourquoi, sinon, après ce coup de force, le Pouvoir a-t-il muté en Corse le préfet des Yvelines ? » Claude Erignac et Renaud Denoix de Saint Marc, Vice-Président du Conseil d’Etat, ne répondirent pas.

Les conséquences de cet internement arbitraire ne furent pas seulement politiques. La lapidation politique qui s’ensuivit me causa des préjudices immenses. J’ai certes fait condamner en 1re instance, et, si nécessaire, en appel, les médias qui me firent passer pour un forcené qu’on aurait dû interner d’office, l’AFP, RTL, France 3, Le Figaro, France-Soir, Le Parisien Libéré, La Croix, dont l’article poursuivi fut le plus odieux de tous, mais le mal était fait. Le quartier où j’habitais à Sartrouville était appelé « le quartier du fou ». Je dus renoncer à vivre dans la commune dont j’étais conseiller municipal et conseiller général. On imagine ce que fut l’épreuve pour mon épouse, pour mes trois garçons, pour mes vieux parents. Ce que fut leur souffrance.

J’ai bien sûr tenté de saisir la justice pour obtenir la sanction des auteurs de ce forfait. Il m’aurait sans doute été possible de faire condamner les médecins qui avaient rédigé à mon encontre des certificats constituant des « faux » au sens pénal du mot. Mais les vrais coupables étaient ceux qui avaient abreuvé les médecins de calomnies sur mon compte, et surtout conçu puis mis en œuvre cette « opération », les responsables policiers, préfectoraux et politiques que j’ai nommés et qui bénéficièrent des plus haute complicités dans l’appareil de l’Etat pour chercher à rendre mes plaintes inopérantes. Parmi ces complices, Philippe Massoni, à l’époque Préfet de police de Paris, auparavant Directeur du cabinet de Charles Pasqua et bientôt chargé de mission auprès de Jacques Chirac à la Présidence de la République.

Plutôt que de risquer l’enlisement des mes plaintes dans des procédures longues et coûteuses, j’ai préféré écrire ce livre qui établit la culpabilité de ces gens-là, et je l’ai envoyé immédiatement à MM. Chirac, Juppé, Debré, Erignac, Rudolph, Friederici, Affres, Piau, etc. Aucun ne m’a poursuivi, ce qui revient à un aveu de culpabilité de leur part.

Ce dont je suis sûr, c’est que, si un juge avait été saisi de mon arrestation par la police dans la nuit du 18 juin 1995, il m’aurait fait libérer sur-le-champ et le cours de mon sort, celui aussi de mes proches en eussent été changé. C’est pourquoi je demande que le projet de loi actuellement en discussion au Parlement soit modifié et prévoit l’intervention immédiate du juge des libertés et de la détention, quand il s’agit d’hospitaliser une 
personne sous contrainte. C’est ainsi qu’on procède dans la plupart des pays européens.

Laurent Wetzel, le 18 mai 2011.
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